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surtout contre le privilège d’interpréter l’Évangile que les coups les plus violens sont dirigés. « Que nous veut le clergé ? s’écriaient Pierre Valdo et ses disciples, qui prirent le nom de Vaudois. Est-ce que tous les chrétiens ne sont pas prêtres ? Tous n’ont-ils pas le droit d’expliquer l’Évangile ? » C’était là le point capital, et ces hérétiques avaient au moins le mérite de commencer par le commencement. Au surplus, ils n’étaient point en peine de prouver leur thèse. Ils disaient que l’église avait perdu toute autorité légitime depuis qu’elle possédait des biens temporels. Le vrai signe auquel devaient se reconnaître les chrétiens était la pauvreté : l’enseignement de l’Évangile appartenait donc de plein droit aux pauvres. Deux siècles après, Wiclef reproduisait les mêmes attaques. Selon lui, l’église primitive avait été pendant mille ans pure dans sa doctrine, irréprochable dans sa discipline. Malheureusement la fin du Xe siècle vit l’accomplissement d’une prédiction de l’Apocalypse, qui, entre autres choses, avait annoncé que le grand dragon renfermé dans l’abîme pour mille ans serait enfin déchaîné. Une fois libre, le grand dragon remua la queue, et de cette queue sortirent tous les ordres religieux qui envahirent le monde chrétien. Aussitôt la foi, les mœurs, furent corrompues, et l’Évangile n’eut plus que d’indignes interprètes. Pour Wiclef, la pauvreté fut aussi le premier devoir du christianisme. Quand Luther eut établi que l’Écriture était la règle de la foi, et que chaque chrétien pouvait juger du sens des livres saints, d’autres vinrent bientôt renchérir sur cette doctrine. Dieu, en effet, disaient les anabaptistes, n’a-t-il pas déclaré dans l’Écriture qu’il accordait ce qu’on lui demandait ? Eh bien ! demandons-lui qu’il nous inspire, et le Saint-Esprit nous répondra. C’est à l’aide de ces inspirations que Muncer haranguait le peuple en Allemagne et l’engageait à conquérir l’égalité des biens. Il faut, disait-il, que les hommes vivent ensemble comme des frères, sans aucune marque de subordination ni de prééminence : voilà la véritable condition du chrétien. Dans le XVIIe siècle, l’Angleterre eut ses indépendans, ses antinomiens, ses millénaires, et d’autres sectaires encore, qui tous cherchaient le Seigneur à leur façon, suivant leurs caprices ; ils commentaient l’Évangile au gré de leurs passions.

C’est donc une chose peu nouvelle qu’un commentaire radical de l’Évangile. Que d’esprits ont cédé à la tentation de donner à leurs théories, à leurs sentimens politiques, une consécration empruntée aux croyances religieuses ! Il y a quelques années, M. Buchez réimprimait, dans une édition populaire qui ne coûtait que dix sous, la traduction des Évangiles par Le Maistre de Sacy, et il la faisait précéder