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est en général moins répandue. Il s’ouvre à la guerre de la succession et se termine en 1762, au moment où la France subit ce traité de Paris par lequel, après avoir perdu trente-sept vaisseaux de ligne et cinquante-six frégates, après avoir grevé ses finances de la somme énorme de 1,350 millions, elle souscrit encore à la perte du Canada et de l’Inde, de la plus grande partie de la Louisiane, de la Grenade, Saint-Vincent, la Dominique et Tabago, et de ses établissemens du Sénégal. La destruction des fortifications de Dunkerque est stipulée par ce traité, et une convention particulière impose à la France la présence d’un commissaire anglais dans ce port.

La paix fut ici plus désastreuse que ne l’avaient été les trois guerres soutenues pendant ce demi-siècle. En effet, la guerre de la succession d’Espagne, terminée en 1713, et pendant laquelle s’illustrèrent Duguay-Trouin, Forbin et Cassard, cette guerre qui vit la journée douteuse de Malaga et le désastre de Vigo, n’avait porté aucune atteinte irréparable à l’honneur de nos armes, et, bien qu’elle eût consacré pour quelque temps la prépondérance maritime de l’Angleterre, elle n’empêcha point, en 1740, nos flottes réunies à celles de l’Espagne d’entreprendre de relever la fortune de notre pavillon. On vit alors, après vingt-sept années de paix, une armée composée de dix-sept vaisseaux français et de seize vaisseaux espagnols, commandée par un vieillard de quatre-vingts ans[1], sortir audacieusement du port de Toulon pour aller présenter le combat à trente-cinq vaisseaux anglais, parmi lesquels on comptait sept vaisseaux à trois ponts et quinze frégates ou brûlots. Quelques années après, l’amiral de l’Étenduère, protégeant, avec huit vaisseaux, un convoi de deux cent cinquante voiles, rencontre près du cap Finistère vingt-trois vaisseaux anglais aux ordres de l’amiral Hawke, et sauve son convoi après un engagement glorieux. Enfin, en 1756, la reprise des hostilités est signalée par la victoire de La Galissonnière sur l’amiral Byng. Un pareil début est loin d’indiquer le honteux dénouement réservé à la lutte qui vient de s’engager. Par quelle série de fautes ce dénouement fut-il préparé ? comment, en un mot, perd-on une marine ? Voilà ce que M. le comte de La Peyrouse s’est proposé d’étudier et de développer dans le second volume de cette histoire, qui mérite à lui seul une lecture attentive et réfléchie.

Le troisième volume commence avec le règne de Louis XVI. Ce qu’on est convenu d’appeler l’orgueil de Louis XIV, et qui n’était peut-être que le profond sentiment de la grandeur nationale, avait créé la marine française. Le patriotisme pieux et éclairé d’un roi honnête homme se chargea d’en rassembler les débris et de faire sortir la France de l’abaissement dans lequel elle était tombée. On lira avec intérêt, dans ce volume, le magnifique épisode des guerres de Suffren dans l’Inde, et la campagne de M. de Grasse aux Antilles, terminée par le désastreux combat du canal de la Dominique. Tous les détails de cette funeste journée, qui nous coûta cinq vaisseaux, ont été, de la part de l’auteur, l’objet d’une étude approfondie, et sont présentés par lui avec une grande lucidité En présence de l’ennemi depuis trois jours, le comte de Grasse, dont l’intérêt était d’éviter le combat, puisqu’il était à la veille d’opérer sa jonction avec une force considérable que lui amenait l’amiral espagnol, le comte de Grasse se vit conduit, par un concours de circonstances funestes et par une sorte de fascination, à risquer un de ces engagemens, pour ainsi

  1. Le vice-amiral De Court.