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une de ces inspirations heureuses que Dieu met au cœur des peuples qu’il protège, et comme un nouveau gage des destinées éclatantes réservées à notre pays. Il importe de venir en aide à cet élan national, et de raffermir incessamment des sympathies dont la date est trop récente encore pour qu’il ne soit déjà plus nécessaire de les fortifier contre les tendances opposées. Toute publication qui a la marine pour objet a donc en ce moment un intérêt pour ainsi dire de circonstance, et la plus futile n’aurait-elle pour effet que de tenir l’ardeur du public en haleine et de hâter la diffusion du vocabulaire maritime, qu’il y aurait encore lieu, pour les amis de la marine, d’en accueillir avec joie l’apparition. A plus forte raison doivent-ils applaudir aux publications sérieuses qui peuvent répandre quelques lumières sur le passé et sur l’avenir de notre puissance navale. De ce nombre est l’ouvrage que publie M. le comte de la Peyrouse[1], et qui retrace l’histoire de la marine française depuis son origine jusqu’à la paix de 1733.

Cet ouvrage, qui a coûté à l’auteur quatre années de recherches laborieuses, s’adresse particulièrement aux hommes d’état et aux marins. Aux premiers, M. le comte de La Peyrouse a voulu montrer les destinées du pays étroitement associées à celles de sa marine ; aux seconds, il a raconté, en homme spécial, les grandes journées de Beveziers et de La Hogue, d’Ouessant et de la Dominique. Il leur a décrit, d’après les documens les plus authentiques, les mêlées où Tromp et Ruyter lançaient leurs brûlots, les lignes savantes et les évolutions étudiées de Keppel et de M. d’Orvilliers, les brusques assauts et les infatigables efforts de Suffren. Il a discuté tous ces systèmes, et il a fait ressortir avec talent ce qu’ils pouvaient avoir d’applicable à notre époque. M. de La Peyrouse ne s’en est point tenu là : il a compris que l’histoire de notre marine resterait incomplète, si on n’en étudiait la formation successive, si on ne recherchait l’origine et l’esprit de ses institutions, si on ne mettait en saillie les moyens employés par Colbert pour donner naissance à cet immense établissement naval porté par lui à une telle hauteur, qu’après l’en avoir laissé déchoir, nous n’avons jamais pu l’y faire remonter. Cependant, à diverses époques, de grands efforts ont été tentés pour relever notre puissance navale, et il fallait en tenir compte. Il importait surtout de consacrer un examen tout particulier à la restauration de la marine sous Louis XVI, car cette restauration a décidé du plus grand évènement qui, après la révolution française, ait modifié l’état politique du monde : l’émancipation des colonies anglaises dans l’Amérique du Nord. L’auteur, nous sommes heureux de le constater, n’a manqué à aucune des conditions de ce programme.

Dans le premier volume, il nous conduit jusqu’à la guerre de la succession. Ce sont là les temps héroïques de la marine française. Ses défaites même ont alors un grand caractère et comme un reflet de la victoire ; malheureusement il règne sur toute cette période glorieuse, par suite du peu de clarté et de précision des documens originaux, une certaine obscurité qui nous semble diminuer un peu l’intérêt de ces nobles récits. D’ailleurs, les noms de Duquesne, de Tourville, de Jean Bart et de d’Estrées ont une popularité de vieille date, et il est difficile de raconter l’histoire de leurs combats sans recourir aux mêmes sources où ont déjà puisé des publications en possession de la faveur publique.

Le deuxième volume nous entretient d’évènemens dont la connaissance

  1. Trois vol. grand in-8o, chez Dentu, galerie d’Orléans.