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Les notes françaises contre l’annexion ont payé la convention du 29 mai sur la révocation du droit de visite. Cela n’est douteux pour personne, et, bien loin d’en faire un grief contre M. le ministre des affaires étrangères, nous reconnaissons volontiers que c’était là une nécessité de sa position. On n’obtient rien pour rien en ce monde, et l’alliance de la France et de l’Angleterre, par sa nature même, ne peut vivre que de tempéramens et de concessions réciproques ; mais encore faut-il que celles-ci soient sincères, et lorsque pour prix de la convention qui révoque les traités de 1831 et de 1833 nous avons consenti à compromettre nos anciens et précieux rapports avec les États-Unis, il faut que cette convention réponde à tout ce qu’en attend la France, et que celle-ci ne soit pas dupe d’un leurre. Notre commerce est-il désormais replacé sous la surveillance exclusive de notre pavillon, selon le vœu de la chambre et du pays ? C’est ce que conteste avec une grande autorité M. le comte Mathieu de La Redorte. Les précédens mis en lumière dans son discours et dans son écrit si substantiel, les abus possibles signalés par lui dans la pratique de la visite en mer pour constater la nationalité, pratique officiellement reconnue pour la première fois, l’extension donnée par les instructions au crime de piraterie, des assertions si graves et des faits si péremptoires ont jeté dans l’esprit public des doutes et des hésitations qu’il devient nécessaire de dissiper. Un débat nouveau et plus approfondi est désormais indispensable devant la chambre des députés.

La pairie, fatiguée de ce long débat, n’a pas permis qu’une discussion quelque peu sérieuse s’établît sur les autres paragraphes du projet d’adresse. M. le comte de Saint-Priest seul est parvenu à fixer pour quelques momens l’attention, en traitant la question de Buenos-Ayres, qu’il a éclairée par des développemens curieux. Les affaires de l’Océanie, celles beaucoup plus importantes de l’Algérie et du Maroc, ont été, d’un commun accord, réservées pour le débat qui s’ouvrira vendredi à la chambre des députés.

Les plus récentes nouvelles de Londres annoncent que les whigs ont repris confiance, et se regardent comme sur le point de ressaisir le pouvoir dans des conditions plus favorables que celles dans lesquelles il a été offert à lord John Russell. La résolution du cabinet tory est aujourd’hui connue ; on sait que sir Robert Peel ne proposera pas le rappel des corn-laws, et se bornera à demander la fixation d’un droit de 8 shillings, qui devrait être réduit chaque année de 2 sh., de telle sorte que la libre importation serait ainsi retardée de quatre années. Il est à remarquer que ce droit fixe est précisément celui qui fut proposé par lord John Russell en 1841, et contre lequel sir Robert Peel fit prévaloir son échelle mobile, qu’il déclarait définitive. Une telle proposition ne satisfera ni la ligue ni les tories, et, dans cette réprobation unanime, les whigs se flattent que le pouvoir pourrait bien leur revenir. Il est certain que le mouvement en faveur de la révocation des lois-céréales se développe chaque jour avec une rapidité prodigieuse dans les classes moyennes et populaires, et qu’on peut évaluer les inscriptions électorales provoquées par les agens de la ligue à près du tiers de la totalité des listes. D’un autre côté, il