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demandé que le régime auquel allaient être soumises ces tristes contrées ne fût que provisoire. On comprend, du reste, qu’à cette époque la diplomatie française eût peu de crédit à Constantinople, et l’humilité de ses réclamations s’explique par la modestie obligée de son attitude après le traité de Londres. Entre l’opinion française, alors impuissante, mais toujours prononcée en faveur de l’administration unique et chrétienne du Liban, et l’opinion turque, qui triomphait d’une manière si fatale et si sanglante, une opinion intermédiaire se produisit, et l’Autriche fit prévaloir, en 1842, la pensée d’une administration mixte qui plaçait les Druses sous un magistrat druse et les Maronites sous un magistrat chrétien. Cette transaction fut acceptée par la diplomatie chrétienne, et la France, alors tourmentée du besoin de rentrer par toutes les portes dans le concert européen, eut le tort grave de présenter comme une victoire éclatante de sa propre politique ce qui n’en était pas même, l’expression, d’après la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères. La chambre nouvelle, à laquelle on présentait la convention de 1842 comme un grand succès diplomatique, refusa l’approbation qui lui était demandée, et prévit que le régime auquel on allait soumettre les populations du Liban n’aurait d’autre effet que d’y constituer l’anarchie.

L’échec parlementaire auquel on s’exposa dans cette circonstance fut d’autant plus gratuit, que M. le ministre des affaires étrangères a déclaré à la chambre des pairs que dès l’origine la France avait manifesté ses doutes sur la bonté d’une pareille transaction, et qu’elle en avait pressenti le vice fondamental. Il convient, d’ailleurs, d’ajouter avec lui qu’on ne regagne pas en un jour tout le terrain qu’on a perdu, et c’est dans les circonstances malheureuses amenées par le bombardement de Beyrouth et les vaines protestations de la France que peut se rencontrer l’excuse la plus plausible : il était naturel qu’elle fût alors sans crédit à Constantinople. Le tort de son gouvernement est d’avoir voulu se donner à Paris l’apparence d’un succès, et d’avoir assumé, aux yeux du pays, la responsabilité d’une mesure qu’il combattait alors comme insuffisante et dangereuse.

L’administration mixte fut mise en pratique au commencement de 1843. Un homme intelligent et modéré, Essad-Pacha, fut chargé d’appliquer ce régime impossible, et, malgré la loyauté de ses intentions, il fut contraint d’y renoncer bientôt. Dans les districts mixtes, le mélange des deux populations et l’association intime de leurs intérêts ne permirent pas à deux magistrats étrangers l’un à l’autre de fonctionner, chacun de son côté, sur leurs coreligionnaires respectifs ; de plus, l’organisation féodale du Liban créait entre les populations et les seigneurs territoriaux certaines relations complètement indépendantes de la religion et de la race elle-même, de telle sorte que l’administration mixte aurait nécessairement amené la rupture de ces relations féodales, et mis en question la propriété des terres elles-mêmes. Il fallut donc suspendre comme impossible l’application du système émané du cabinet de Vienne, et auquel s’était ralliée toute la diplomatie. On vit alors la France dans une étrange situation, car elle poursuivait avec chaleur à Constantinople,