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tion se trouve modifiée, du moins dans les circonstances présentes. Sans se confondre avec les amis du ministère, et sans s’engager dans une opposition systématique, ils jugeront les questions en elles-mêmes, en conservant l’entier usage de leur indépendance et de leur liberté, et il est telle occasion inattendue qui peut leur assurer une prépondérance véritable au sein du parlement.

La chambre des pairs a discuté l’adresse avec des développemens que ses débats politiques n’avaient jamais eus jusqu’ici : peut-être ces débats approfondis et l’empressement que le public a mis à les suivre tiennent-ils à ce que la question ministérielle se trouve écartée pour le moment, et à ce qu’on ne prévoit encore aucun incident de nature à agrandir l’intérêt de la lutte au sein de la chambre élective.

Relativement à l’administration intérieure du royaume, une seule question était à l’ordre du jour, et il était naturel que l’ordonnance du 7 décembre dernier, sur la reconstitution du conseil de l’instruction publique, préoccupât exclusivement l’attention de la noble chambre. La présence du membre le plus illustre de l’ancien conseil, et sa résolution connue d’avance de combattre l’acte émané de M. de Salvandy avec l’autorité de sa position et de son talent, donnaient à cette discussion un intérêt à la fois politique et personnel, que les luttes parlementaires ont eu bien rarement au Luxembourg. L’attente publique n’a pas été trompée, et le débat a été digne des hommes éminens qui y ont pris une part si brillante. M. Cousin a établi d’une manière irréfragable qu’il était impossible de remettre en vigueur, par une simple ordonnance, un titre particulier du décret de 1808, et qu’il fallait ou ressusciter le décret en entier, en attribuant une force obligatoire à ses dispositions les plus manifestement inapplicables, ou reconnaître que le conseil royal existait régulièrement en vertu des ordonnances royales qui l’ont constitué sous la restauration. Jamais légiste discutant devant la cour souveraine n’a apporté plus de netteté et plus d’abondance dans l’appréciation d’une question controversée, et tant d’éloquence et de passion mise au service d’un point de droit offrait un spectacle nouveau qui a beaucoup intéressé la chambre. Elle a été saisie non moins vivement, lorsque M. Villemain est monté à la tribune pour accomplir un grand devoir. Jamais discours n’a été écouté avec une plus religieuse émotion, et rarement la tribune, française a entendu des paroles plus graves, plus mesurées, plus politiques. Sans contester la convenance d’augmenter le personnel du conseil, et en rappelant les efforts tentés par lui dans cette intention, M. Villemain a défendu l’organisation sortie des ordonnances de 1815 et de 1829 contre le reproche de contrarier la libre action ministérielle, et il a maintenu que l’université allait se trouver affaiblie dans l’opinion lorsqu’on déclarait avoir voulu la fortifier. M. le ministre de l’instruction publique a déployé dans la défense de la mesure dont il a pris l’initiative un talent qu’on ne peut méconnaître. Quittant habilement le terrain de la légalité et des textes, il a revendiqué la plénitude de son droit d’agir par voie d’ordonnance, et s’est efforcé d’établir qu’une intervention constante de conseillers inamovibles dans la gestion des intérêts uni-