Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anciens et la poésie moderne représentent tour à tour les mêmes hommes, les mêmes actions, les mêmes évènemens. Les Romances historiques sont d’une très grande variété. L’imagination du duc de Rivas a créé tout un monde brillant et poétique : ici, au milieu des fêtes splendides de la cour de Philippe IV, c’est le comte de Villamediana qui périt victime de son amour pour la reine ; là, le favori du roi don Juan, don Alvaro de Luna, touche en peu d’instans à toutes les extrémités de la fortune, et se réveille sur un échafaud après s’être endormi dans la prospérité et la puissance, destin ordinaire de tous les favoris que l’Espagne a vus passer en si grand nombre ! En est-il un seul qui n’ait été violemment repris et englouti par la vague capricieuse qui l’avait porté ? L’Alcazar de Séville et le Fratricide retracent l’histoire de l’amant couronné de Maria Padilla, de don Pèdre-le-Justicier, assassin d’un frère qui mourut de la main d’un frère. Le Fratricide est un des poèmes qu’on peut justement citer pour l’énergie et l’intérêt dramatique. La figure de don Pèdre, d’ailleurs, est une de celles qui ont le plus attiré les poètes et excité leur imagination. Combien d’œuvres anciennes l’ont pris pour héros ! combien d’œuvres modernes même ont réveillé sa mémoire ! Plusieurs des romances du duc de Rivas lui sont consacrés, outre le Fratricide. Le Souvenir d’un grand homme (Recuerdo de un grande hombre) est le mélancolique tableau des misères, des amertumes, des obstacles contre lesquels eut à lutter Christophe Colomb lorsqu’il allait sur un frêle vaisseau, poussé par une foi ardente, guidé par son génie, découvrir un monde nouveau, et agrandir l’empire des rois catholiques. L’auteur ne se borne pas seulement au passé, il a donné la forme du romance à des sujets tirés du présent. Le Sombrero et le Retour désiré (la Vuelta deseada), qui racontent les angoisses d’un amour tourmenté par l’exil, sont des légendes pleines de charme et d’une généreuse tristesse. — Ainsi, les Romances historiques offrent une réunion intelligente d’œuvres propres à remettre en honneur ce genre qui tient une si large place dans la littérature espagnole, et qui peut être encore une merveilleuse ressource pour l’art moderne.

Lorsque le duc de Rivas écrivait le Bâtard maure et don Alvaro ou la Force du Destin, il était presque seul ; aucune voix n’avait devancé la sienne. Partout il y avait l’instinct, le désir d’une rénovation littéraire, plutôt que le pouvoir de réaliser immédiatement ce noble vœu ; c’était la période de la conquête laborieuse et ardue. Quand il a fait paraître les Romances historiques et ses autres drames, plusieurs années s’étaient écoulées déjà pendant lesquelles cette révolution attendue