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saisi ; mais, par un jeu cruel du destin, ce pistolet part, et va frapper Calatrava, qui tombe et meurt en maudissant sa fille. Affreuse catastrophe ! Vainement, dès-lors, don Alvaro cherchera à retrouver la paix, à réunir les élémens dispersés de son bonheur, comme on rassemble les morceaux d’un verre fragile qui a volé en éclats : le malheur partout l’accompagne ; chaque effort qu’il tentera ne fera qu’élargir l’intervalle marqué de sang qui le sépare de Léonor. La lutte qui s’est engagée dans cette nuit funeste entre les serviteurs de Calatrava et don Alvaro, lutte où celui-ci a failli succomber, fait même que chacun des deux amans perd la trace de l’autre. Léonor s’enfuit chez une de ses parentes à Cordoue, et bientôt va se cacher plus profondément, sous les habits d’un religieux, dans une solitude abrupte qui avoisine le couvent des Anges, à Hornachuelos. Là, elle vit isolée, pleine de douleur et de repentir, retranchée du monde, morte pour sa famille. Pendant ce temps, don Alvaro, afin de tromper son désespoir, ou pour y mettre un terme, est allé, sous le nom de don Fadrique de Herreros, se mêler aux guerres d’Italie, et, bien loin de rencontrer la mort en allant au-devant d’elle, il ne fait qu’acquérir une brillante renommée de courage. Il n’a qu’un ami auquel il est lié par la communauté des dangers, par la noble fraternité du champ de bataille : c’est un jeune officier, don Félix de Avendaña ; et, comme si le destin préparait une embûche sous chacune de ses joies passagères, don Félix n’est autre que le fils aîné du marquis de Calatrava, qui est à sa recherche pour venger la mort de son père et l’honneur de sa maison. C’est cette amitié même qui les remet en présence sous leurs vrais noms de don Alvaro et de don Carlos de Vargas. Le premier gravement blessé, dans la prévision de la mort, confie à son ami une cassette, pour brûler, s’il succombe, les papiers qui y sont contenus. Celui-ci, cédant à un instinct plus fort que sa loyauté, ouvre à peine la cassette, et voit le portrait de sa sœur, doña Léonor. Tout lui indique qu’il a enfin trouvé le meurtrier de son père ; il attend sa guérison, le provoque, et tombe fatalement lui-même sous les coups de son adversaire, qui s’est inutilement efforcé de détourner cette catastrophe nouvelle. Ce n’est pas tout encore : don Alvaro revient-il en Espagne pour s’enfermer au couvent des Anges et se soustraire par là aux malignes influences de sa fortune, la paisible expiation ne lui est pas permise. Le second fils du marquis de Calatrava, don Alonso, viole sa retraite, l’arrache à sa cellule, fouette son sang par l’injure, et lui remet une épée dans la main ; don Alonso meurt comme son frère, dans une gorge de la montagne, laissant don Alvaro pétrifié.