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d’un homme livrée aux poursuites inflexibles du malheur ; c’est la force du destin prenant un être condamné à son berceau, pour le pousser, de déception en déception, de douleur en douleur, de chute en chute, jusqu’à une fin lamentable. Cette fatalité, que nous montrions dénouant les amours du bâtard maure et de Kerima, elle est ici dans toute sa puissance. Don Alvaro est le fils d’un vice-roi révolté du Pérou, qui s’est uni à une descendante des Incas pour secouer le joug castillan, au mépris de la loyauté et de l’honneur. C’est donc sous un astre funeste qu’il voit le jour. Il a traversé les mers pour venir justifier la mémoire de son père, mort avec la flétrissure du traître, pour chercher à laver l’écusson qui lui a été laissé souillé, et qu’il ne peut tirer de l’ombre avant l’heure de la réhabilitation. A Séville, où il vit cependant, sa naissance est ignorée ; héros de la famille de Conrad ou de Lara, il n’est connu que pour la beauté étrange de sa figure, pour la profusion de ses richesses, et la facilité avec laquelle il jette l’or à pleines mains. Le mystère même dont il s’environne attire sur lui tous les yeux. L’inexprimable fierté qui perce en lui, l’apparence de noblesse qu’il garde toujours, tous ces dons extérieurs, à l’aide desquels il séduit et fascine les regards, empêchent qu’on ne sonde plus profondément les secrets de sa vie. C’est dans cette situation où le merveilleux a sa part, que don Alvaro s’éprend d’un violent amour pour doña Léonor de Vargas, la fille du marquis de Calatrava ; mais lui qui n’a qu’un nom inconnu à offrir, dont la fortune est peut-être celle d’un aventurier heureux, d’un pirate qui veut se reposer dans les jouissances de ses fatigues coupables, comment pourrait-il aspirer à la main de l’héritière d’une illustre race ? Il l’a osé pourtant, et la passion qu’il a éveillée dans l’ame de Léonor lui faciliterait singulièrement la route, s’il n’y avait un obstacle plus fort, celui que met entre eux l’honneur de la maison de Calatrava. Le vieux marquis oppose un refus invincible. Dans ces circonstances, Léonor, entraînée par l’amour de don Alvaro, consent à le suivre. La nuit les réunit secrètement, comme Roméo et Juliette. Près de partir, ils épanchent encore leur ardeur passionnée. Malgré tout, la jeune fille ne saurait étouffer ses regrets, ses remords, les terreurs qu’elle éprouve en foulant aux pieds le devoir et l’affection filiale ; elle veut retarder, elle hésite, elle se combat elle-même, lorsqu’au milieu de ces incertitudes et de ces angoisses apparaît la figure irritée du père. Don Alvaro abaisse son orgueil devant le marquis, qui veut le faire enchaîner comme un vil larron ; il se met à ses genoux, appelant sur lui seul le châtiment, et dépose à terre un pistolet dont il s’était d’abord