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Scott de l’Espagne moderne, jugement qui est l’indication du prix attaché à son talent plutôt qu’une appréciation bien exacte. Cette habileté du récit en effet, cette connaissance profonde et désintéressée de la nature humaine, cet art de recomposer les caractères les plus divers avec une fidélité minutieuse, de reconstruire une époque dans son ensemble et dans ses détails, de faire vivre et agir les hommes en donnant de la logique même à leurs inconséquences, du naturel même à leurs folies, — toutes ces qualités, en un mot, qui font le génie du grand auteur des Puritains et de Rob-Roy, n’apparaissent que faiblement dans le Moro Exposito. Il y a sans contredit des élémens dramatiques dans l’action ; il y a des tableaux puissans et vrais à côté de quelques scènes comiques par momens heureuses ; il y a des traits énergiques et expressifs dans les caractères que l’auteur retrace, dans Gonzalo Gustios, Ruy Velazquez, Mudarra, Zaïde, le vieux serviteur Nuño, la pauvre nourrice Elvida. La pureté idéale de Kerima fait un noble contraste avec la beauté hautaine, empreinte de passions sensuelles, de la vindicative doña Lambra. « Pourquoi, dit le poète, le ciel n’a-t-il pas mis dans doña Lambra une ame noble et grande, digne d’habiter un si beau corps ? C’était un sépulcre de marbre brillant au dehors, et qui recélait dans son sein les vers et la pourriture. Elle ressemblait à un riche palais où éclatent l’or, le bronze et le jaspe, et où se cachent des hyènes furieuses » Certainement la vie circule avec abondance dans cette œuvre, dont l’analyse ne peut donner que le froid squelette ; mais ce qui manque à tous ces élémens rassemblés par l’auteur, c’est la cohésion, l’unité ; ce qui manque à l’action, c’est une suite logique et bien déterminée. Nulle part on ne sent la présence de ce sentiment supérieur de l’ordre, qui doit présider même aux inventions les plus libres, et qui marque la différence entre une ébauche, quelque magnifique qu’elle soit, et une œuvre achevée. Encore moins peut-on y reconnaître le génie large et compréhensif de Walter Scott ; si ces deux noms ont pu être rapprochés, c’est parce que le goût de cette poésie chevaleresque a été visiblement suggéré à l’écrivain espagnol par l’illustre Écossais, et que le Bâtard maure est le premier essai pour lui donner une naturalisation nouvelle au-delà des Pyrénées. — La partie la plus incontestablement belle du poème est la partie lyrique. Là l’inspiration se retrouve dans sa force et dans son originalité, soit que l’auteur donne cours à ses plus intimes émotions, soit qu’il dépeigne la beauté des campagnes. S’il ramène quelqu’un de ses héros dans son pays après une longue absence, il fait involontairement un retour sur lui-même.