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mêlé de folie. Mudarra cependant n’abdique pas ses sentimens de vengeance, et une occasion naturelle se présente pour les laisser éclater. Le comte Fernan-Gonzalez, sachant que des Maures sont entrés sur le sol castillan, vient à Salas ; il est accompagné de Ruy Velasquez, le premier auteur des maux de la famille Lara, le cruel complice de Giaffar. Mudarra demande à combattre pour l’honneur et la loyauté de son père contre Velasquez, et c’est dans cette passe d’armes chevaleresque, en présence de la Castille assemblée, que le sang de Gonzalo Gustios vient venger ses affronts et ses malheurs par la mort de l’époux de doña Lambra. L’auteur fait reparaître encore à la fin du poème la douce figure de Kerima. Exaltée par sa passion, poussée par l’égarement, la jeune fille, surmontant tous les obstacles, a voulu suivre les traces de son amant. On la voit tout à coup se jeter sur le champ de bataille où gît Ruy Velasquez et où Mudarra lui-même est près de succomber à ses blessures. Plus que toute chose, l’apparition de Kerima, sa tendresse retrouvée, doivent ramener le jeune Arabe à la vie. Tout donc semble sourire à leur bonheur nouveau. Gonzalo Gustios accueille la Moresque comme sa fille ; les deux jeunes gens embrassent la foi chrétienne, et leur union se prépare ; mais, comme si la loi religieuse à laquelle vient de se vouer Kerima développait en elle d’intimes remords, de mystérieuses douleurs, sa beauté s’efface et pâlit par degrés, et, à l’instant même où elle va être liée pour toujours à Mudarra, elle recule avec effroi, voyant le sang de son père sur la main de son fiancé. « Je me consacre à Dieu ! s’écrie-t-elle, le Christ est mon époux ! » - Ce dénouement imprévu est trop prompt ; il est peu motivé, mal amené. Si l’on s’y arrête un peu cependant, pour en chercher le sens, ne voit-on pas la fatalité s’y montrer avec un caractère particulier ? Ingénieuse à diriger ses coups, toujours prête à faire sentir sa puissance par quelque côté, elle respecte l’orgueil de l’homme, laisse Mudarra sortir vainqueur de ses luttes, regagner l’honneur d’un nom illustre, et à la même heure elle le frappe dans son bonheur ; elle flétrit sa joie la plus chère. N’y a-t-il pas quelque chose d’émouvant dans la fuite soudaine et irréparable de cette illusion d’amour qui a flotté sur la jeunesse du bâtard, qui a triomphé de tant d’obstacles et semble attendre, pour s’évanouir tout à coup, que le cœur ait pu croire à sa durée ?

Il est aisé de le remarquer, la fiction se mêle sans cesse à l’histoire dans le Bâtard maure, et cela serait plus visible encore s’il était possible de suivre la fantaisie du poète dans tous ses détours, dans toutes ses excursions. Le duc de Rivas a mérité d’être appelé le Walter