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Le duc de Rivas fait revivre, dans son poème, l’Espagne troublée du moyen-âge, avec ses implacables passions, avec cette variété que lui donne le mélange de deux races toujours en guerre, luttant sans cesse de chevalerie et d’héroïsme. Le second titre l’indique assez, c’est Cordoue et Burgos au dixième siècle. L’auteur a choisi pour le rajeunir un des plus terribles épisodes de cette histoire féconde en tragiques aventures, la destinée de la famille de Lara ; il en a fait le fond de son invention romanesque, en y rattachant toutes les digressions que peut lui fournir le spectacle des temps, des lieux et des hommes. — Cordoue est dans la fête : les jeux, les plaisirs, les tournois, réunissent tout ce qu’il y a de jeune et d’illustre à la cour du calife Hixcem, à l’occasion du mariage du fils de son ministre, l’hagih Almanzor. Au milieu de ces fêtes, décrites avec splendeur, il n’y a qu’un jeune homme tout entier à sa tristesse : c’est Mudarra. Une pensée grave et profonde habite son cœur. Beau, courageux, fait pour tous les exploits, il a une origine mystérieuse ; son père lui est inconnu, il ignore quelle est sa mère. C’est le souci de sa jeunesse. Depuis que Zahira, la sœur d’Almanzor, qui veillait sur lui avec tendresse, est morte, il sent davantage le poids de sa naissance obscure et dégradée. Confié aux soins d’un chef arabe, Zaïde, qui, après une vie guerrière, s’est retiré dans son château de l’Albaida, c’est pour la première fois qu’il met le pied dans ce monde brillant, à l’abri de la faveur d’Almanzor, et aussitôt le terrible nom de bâtard retentit à son oreille. Giaffar, le gouverneur de Cordoue, s’irrite de le voir dans la fête porter les couleurs de sa fille Kerima. Déjà, cependant, Mudarra sent naître en lui un invincible amour pour la jeune fille. Vainqueur dans les jeux, c’est par ses mains qu’il est couronné ; c’est elle qui lui remet avec inquiétude et en rougissant les insignes de sa victoire, et l’émotion de Kerima se transforme aussi en une passion brûlante. Tous les deux, dans leur amour, sont pleins de terreurs secrètes : «  0 Mudarra ! Kerima ! dit le poète ; malheureux ! quel étrange instinct agite votre poitrine, et vous fait voir d’horribles fantômes aux feux de votre amour ! C’est comme une voix inexorable de l’autre monde qui vous crie qu’une mer de sang vous sépare, qu’un mur d’ossemens sans sépulture s’élève entre vous. » Ce secret qui les doit séparer existe en effet, et c’est à l’occasion d’un meurtre qu’il va être révélé. Giaffar, pour étouffer l’amour de sa fille, dirigé en outre peut-être par quelque motif inconnu, veut faire assassiner Mudarra, surveiller de ses propres yeux l’accomplissement de ce funèbre dessein, et lui-même il tombe sous les coups du jeune homme qui défend sa