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dans le drame par Don Alvaro, et a consolidé sa gloire par les Romances historiques.

Quand le Bâtard maure parut en 1834, l’idée d’une rénovation littéraire s’emparait déjà des esprits au-delà des Pyrénées ; elle mûrissait comme un fruit naturel de cette autre révolution qui allait transformer les mœurs, les lois, l’état social tout entier de la Péninsule. Le goût du XVIIIe siècle, qui avait survécu, qui dominait encore, à vrai dire, n’était pas seulement repoussé pour ses restrictions, pour ses préceptes classiques désormais impuissans ; il avait en outre un vice originel c’était, dans le fond, une importation étrangère, contre laquelle protestait le mouvement de la pensée renaissante. Il y avait dans toutes les intelligences un désir inquiet, ardent, de voir l’Espagne rechercher en elle-même, dans son passé comme dans ses agitations présentes, les élémens d’une poésie nationale et rajeunie. Les imaginations excitées se détournaient des fictions académiques pour retrouver le secret de ces peintures animées et vivantes, libres et fortes, dont l’ancienne littérature espagnole, et, à d’autres égards, les littératures modernes de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France pouvaient offrir de puissans exemples. Si le Bâtard maure eut un réel succès, c’est qu’il venait à point dans cette situation transitoire, c’est qu’il répondait à ces vœux encore indistincts de perfectionnement littéraire, c’est que l’auteur, mieux préparé par les circonstances, plantait un drapeau autour duquel les nouveaux écrivains pouvaient venir se ranger. Déjà, dans ses poésies lyriques, le duc de Rivas avait montré sans doute un talent énergique, vrai, plein d’émotion ; il était arrivé, par un élan spontané, à des effets nouveaux ; mais n’est-ce point dans l’action variée et multiple du poème, du roman ou du drame, que se peuvent faire les plus larges applications de l’art ? Là, en effet, toutes les questions se présentent ; la poésie a à reproduire la nature humaine sous toutes ses faces, dans sa vérité générale, et en même temps dans cette vérité particulière qu’on nomme la vérité historique. C’est là aussi qu’on peut apprécier pleinement la grandeur ou l’insuffisance des innovations littéraires. Le Bâtard maure est tout à la fois un roman et un poème. Il est précédé d’un morceau de critique dû à M. Alcala Galiano, sorte de préface du Cromwell espagnol ; c’est un brillant essai sur l’état littéraire de l’Europe, sur la poésie de la Péninsule et sur son avenir. La critique se faisait ainsi l’auxiliaire de l’art ; elle se renouvelait avec lui, elle expliquait ses œuvres, et montrait l’imagination s’efforçant de répondre à ces lointains appels que lui adressait, du sein du passé, le vieux génie castillan.