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Catalogne. La littérature qui prospère, c’est une charade dans la Gazette de Madrid ou quelque honnête grammaire. La censure coupe les ailes au génie de Calderon si on veut le réimprimer, et arrête sur le seuil les écrivains nouveaux, tels que Zarate ou Breton de los Herreros, s’ils tentent d’arriver à la scène. La stagnation est complète ; c’est un sommeil semblable à la mort. Larra, dans le Pobrecito Hablador, a fait plus tard le tableau de cet état, avec l’ironie la plus acérée, en peignant l’Espagne sous la figure des Batuecas, vallée renommée pour l’ignorance qui y régnait. « Ici, dit-il, on ne lit, ni on n’écrit, ni on ne parle. » Et le Batueco se rassure en songeant que les hommes ne meurent pas d’ignorance. Il faut donc chercher ailleurs la vie morale de l’Espagne pendant ce temps ; il faut la suivre dans les scènes douloureusement variées de l’exil. Les hommes les plus marquans, MM. Toreno, Martinez de la Rosa, Burgos, Arguellès, Galiano, Isturitz, tous ceux que leurs opinions désignent à la haine de l’absolutisme, sont obligés de s’enfuir ; la proscription les jette loin de leur pays, en France, en Angleterre, où leur intelligence reçoit une éducation nouvelle. Se trouvant aux foyers politiques les plus agités, ils étudient la marche des idées constitutionnelles, ils se mêlent au mouvement littéraire de l’Europe, et cherchent dans les travaux de l’esprit des consolations élevées, souvent des ressources. Les œuvres de ces années d’épreuve forment toute une littérature de l’exil : Toreno écrivait l’Histoire du Soulèvement et de la Révolution de 1808 ; Martinez de la Rosa se consacrait à des essais plus littéraires, et faisait même représenter à Paris le drame d'Aben-Humeya ; Canga Arguellès préparait ses publications sur les finances et l’administration ; Alcala Galiano s’était fait l’utile collaborateur des revues anglaises ; Telesforo de Trueba imitait tour à tour l’art de Scott et d’Hazlitt dans ses critiques et dans quelques romans. Les Contes de l’Espagne romantique ont été traduits en français. Dès 1824, quelques hommes de talent, MM. Canga Arguellès, Villanueva, Mendibil, avaient fondé à Londres un recueil sous le titre de Loisirs des émigrés espagnols (Ocios de los Emigrados españoles). Les Ocios portaient pour épigraphe un mot d’Horace qui devrait servir de devise à toute émigration : Vitanda desidia est ! c’est-à-dire, il nous faut déjouer par l’activité de l’intelligence cette corruption secrète que l’inaction et le malheur unis portent souvent avec eux. Les Ocios parurent jusqu’en 1828 ; ils contiennent des recherches sur les anciennes constitutions de l’Espagne, sur l’économie politique, des études sur la littérature, sur la philologie, de nombreux essais poétiques. — Ces travaux, dont nous ne voulons