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maria à un bon gentilhomme de sa province, le vicomte de Nanthia. « Ma mère m’a souvent raconté, écrit M. de Sainte-Aulaire[1], que lors de l’arrivée en Périgord du chevalier d’Aydie avec sa fille, l’admiration fut générale ; il la présenta à sa famille, et, suivant la coutume du temps, il allait chevauchant avec elle, de château en château ; leur cortège grossissait chaque jour, parce que la fille d’Aïssé emmenait à sa suite et les hôtes de la maison qu’elle quittait, et tous les convives qu’elle y avait rencontrés. » Ainsi allait, héritière des graces de sa mère, cette jeune reine des cœurs. Le chevalier, pour ne plus quitter sa fille, se fixa au château de Mayac, chez sa sœur la marquise d’Absac. Vingt ans s’étaient écoulés depuis la perte irréparable. Les lettres qu’on a de lui, écrites à Mme du Deffand (1753-1754), nous le montrent établi dans la vie domestique, à la fois fidèle et consolé. La main souveraine du temps apaise ceux même qu’elle ne parvient point à glacer. C’est bien au fond le même homme encore, non plus du tout brillant, devenu un peu brusque, un peu marqué d’humeur, mais bon, affectueux, tout aux siens et à ses amis, c’est le même cœur : « Car vous qui devez me connaître, vous savez bien, madame, que personne ne m’a jamais aimé que je ne le lui aie bien rendu. » Que fait-il à Mayac ? il mène la vie de campagne, surtout il ne lit guère : « Le brave Julien, dit-il, m’a totalement abandonné : il ne m’envoie ni livres, ni nouvelles, et il faut avouer qu’il me traite assez comme je le mérite, car je ne lis aujourd’hui que comme d’Ussé, qui disait qu’il n’avait le temps de lire que pendant que son laquais attachait les boucles de ses souliers. J’ai vraiment bien mieux à faire, madame ; je chasse, je joue, je me divertis du matin jusqu’au soir avec mes frères et nos enfans, et je vous avouerai tout naïvement que je n’ai jamais été plus heureux, et dans une compagnie qui me plaise davantage. » Il a toutefois des regrets pour celle de Paris, il envoie de loin en loin des retours de pensée à mesdames de Mirepoix et du Châtel, aux présidens Hénault et de Montesquieu, à Formont, à d’Alembert « J’enrage, écrit-il (à Mme du Deffand toujours), d’être à cent lieues de vous, car je n’ai ni l’ambition ni la vanité de César : j’aime mieux être le dernier, et seulement souffert dans la plus excellente compagnie, que d’être le premier et le plus considéré dans la mauvaise, et même dans la commune ; mais, si je n’ose dire que je suis ici dans le premier cas, je puis au moins vous assurer que je ne suis pas dans le

  1. Dans la notice manuscrite sur le chevalier d’Aydie, dont nous lui devons communication.