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point de la faire céder aux vues de M. de Ferriol qui, peu généreux, exigeait d’elle trop de reconnaissance, et d’un grand prince qui voulait en faire sa maîtresse ; mais elle la disposa à la tendresse, et le chevalier d’Aydie en profita[1]. » Le récit de M. Craufurd[2] rentre tout-à-fait dans cette opinion qu’on avait généralement, et on sent qu’il ne change d’avis que sur la prétendue preuve écrite. Nous croyons avoir réduit cette preuve à sa juste valeur.

Le fait est qu’à dater d’un certain moment, qui pourrait bien n’être autre que celui de la tentative avortée, Mlle Aïssé eut son domicile habituel chez Mme de Ferriol, et ce ne fut plus ensuite que dans les deux dernières années de la vie de l’ambassadeur qu’elle retourna près de lui pour lui rendre les soins de la reconnaissance. Il mourut le 26 octobre 1722, à l’âge d’environ soixante-quinze ans. Est-il besoin d’ajouter que, durant ce dernier séjour[3] elle était plus que préservée par toutes les bonnes raisons et par l’amour même du chevalier d’Aydie, qui l’aimait dès lors, comme on le voit d’après certains passages des lettres de lord Bolingbroke. Je transcrirai ici quelques-uns de ces endroits qui ont de l’intérêt à travers leur obscurité et malgré le sous-entendu des allusions.

Bolingbroke écrivait à Mme de Ferriol, le 17 novembre 1721, en l’invitant à venir passer les fêtes de Noël à sa campagne de la Source, près d’Orléans : « Nous avons été fort agréablement surpris de voir que Mlle Aïssé veuille être de la partie et renoncer pendant quelque temps aux plaisirs de Paris. Peut-être ne fait-elle pas mal de visiter ses amis au fond d’une province comme d’autres y vont visiter leurs mères. Quel que soit le motif qui nous attire ce plaisir, nous lui en sommes très obligés… » Et sur une autre page de la même lettre, dans une apostille pour M. d’Argental : « N’auriez-vous pas contribué à nous procurer le plaisir d’y voir Mlle Aïssé ? Je soupçonne fort que vos conseils, et peut-être le procédé d’une autre personne, lui ont inspiré un goût pour la campagne que je tâcherais de cultiver, si j’avais quelques années de moins. » - Quel est ce procédé ? et de quelle autre personne s’agit-il ? Nous chercherons tout à l’heure. — Un mois après, Bolingbroke écrivait encore à Mme de Ferriol (30 décembre 1721) :

  1. Année littéraire, 1788, tome VI, page 209.
  2. Essais de Littérature française, tome Ier, page 188 (3e édition).
  3. Mme de Ferriol, qui avait habité d’abord rue des Fossés-Montmartre, logeait en dernier lieu rue Neuve-Saint-Augustin, et l’ambassadeur demeurait dans le même hôtel ; ainsi ces diverses installations pour Aïssé se réduisaient au plus à un changement d’appartement.