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que leur intention était de se réfugier dans les Pays-Bas catholiques, et d’aller continuer leur profession religieuse dans quelque maison de l’ordre de saint Augustin. Les converses, qui n’étaient engagées que par des vœux simples, prirent le même parti ; parmi les sœurs du voile blanc, la Rousse seule déclara qu’elle suivrait la mère Angélique. Toutes ces résolutions s’accomplirent promptement. Quelques jours plus tard, à la tombée de la nuit, une chaise de poste attendait dans la cour du couvent de la Miséricorde. Ce fut un moment triste et solennel que celui où la mère Angélique sortit de cette maison qu’elle avait gouvernée si long-temps, et dans laquelle elle avait cru mourir. Elle passa la dernière la porte de clôture, s’agenouilla sur le seuil, fit une courte prière, et monta dans la voiture avec ses deux cousines et la Rousse. Au moment de partir, elle avait quitté la robe grise, le scapulaire et le voile noir des filles de la Miséricorde ; Anastasie aussi avait changé son habit de novice, et toutes deux étaient modestement vêtues d’un déshabillé de couleur sombre. Ce costume était comme une transition entre les parures mondaines et la bure des religieuses. En entendant une voiture rouler sous la grande porte du couvent, les petites gens du voisinage parurent au seuil de leurs boutiques, comme, quelques mois auparavant, lorsqu’ils avaient vu la chaise de poste de l’oncle Maragnon s’arrêter devant cette sainte maison. Le jeune commis qui savait par cœur les vers de La Harpe reconnut, à la clarté des lanternes, les traits un peu pâlis d’Èléonore, et s’écria avec un mouvement tragique, en parodiant l’imprécation de Mélanie et en apostrophant dans sa pensée la bonne grosse figure de Jacques Maragnon :

Dieu !… c’est le dernier cri de sa fille expirante
Qui seul retentira dans son ame tremblante !


VII.

L’on était au commencement du mois de mars ; une tiède brise murmurait entre les frêles rameaux qui commençaient à verdir ; le jour finissait, et le mince croissant de la lune se levait derrière les ruines de la tour de Belveser. Une voiture de voyage roulait à travers la campagne silencieuse ; après avoir laissé Eléonore au seuil de la somptueuse demeure de Mme Maragnon, elle montait au château de Colobrières. Quand elle eut atteint l’entrée du chemin rocailleux qui