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mouvement révolutionnaire ne tarda pas à se faire sentir dans cette enceinte, jusqu’alors impénétrable aux bruits du monde. L’émigration avait commencé, la noblesse était dispersée, et les dames de la cour ne songeaient plus à acheter ces riches dentelles, ces magnifiques broderies que l’on confectionnait dans le couvent. Presque tout à coup l’habileté des religieuses dans ces difficiles travaux devint un talent inutile, et elles ne gagnèrent plus rien. La maison n’avait point d’autre revenu ; la règle défendait aux filles de la Miséricorde de thésauriser, et le surplus du gain annuel était scrupuleusement partagé entre les maisons pauvres de l’ordre. Lorsque le travail cessa, la communauté fut à la veille de tomber dans le dénuement, et la mère Angélique se dit avec douleur qu’un jour viendrait peut-être où il faudrait, comme dans les maisons de l’ordre séraphique, aller quêter de porte en porte le pain quotidien. Les religieuses ignoraient pourtant l’indigence dont elles étaient menacées ; la supérieure et la trésorière du couvent étaient seules au fait des extrémités auxquelles le départ des grandes dames de Versailles les réduisait. Dans cette situation difficile, la mère Angélique déploya une prudence admirable et un courage d’esprit infini ; elle pourvut aux besoins de la communauté avec les plus faibles ressources : le jour où l’on proclama le décret qui abolissait les vœux religieux, il n’y avait plus qu’un écu de six livres dans la caisse du couvent.

La mère Angélique assembla aussitôt ses religieuses en chapitre et leur fit à haute voix lecture du décret ; ensuite elle ordonna à la sœur tourière de lui remettre ses clés, et dit en les déposant sur la table de la salle capitulaire : — Mes chères sœurs, dès ce moment la porte de clôture est ouverte.

Sans doute, il y eut des cœurs qui tressaillirent de joie à cette nouvelle inouie ; mais, en général, elle fut reçue avec une sorte de stupeur. Dès le lendemain quelques jeunes religieuses déclarèrent qu’elles voulaient se retirer dans leur famille, et elles s’en allèrent librement. Les vieilles professes s’imaginaient que les temps étaient accomplis, et que l’on touchait à la fin du monde. Quelques-unes s’avancèrent jusqu’à la porte du couvent, et se retirèrent aussitôt effrayées du bruit de la rue et de la figure des passans.

Quelques jours après la promulgation du décret, la mère Angélique reçut les deux lettres suivantes : la première était du baron de Colobrières ; il lui écrivait :