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dispositions de cette ame encore enivrée du bonheur récent d’avoir retrouvé l’objet de son amour ; il fallait faire succéder à de confuses espérances la certitude douloureuse d’un inévitable malheur. Sans faire allusion à cette passion, que le cadet de Colobrières croyait un secret bien gardé au fond de son cœur, la mère Angélique sut porter un coup mortel au vague espoir qu’il nourrissait peut-être. Elle l’entretint longuement du mariage d’Éléonore avec son jeune cousin, des projets de leur tante Agathe pour le bonheur de son unique enfant, et de l’impatience qu’avait l’oncle Maragnon de conclure ce mariage. Gaston l’écoutait d’un air morne, hochant la tête de temps en temps avec un geste de conviction désespérée et ne répondant que par des monosyllabes étouffés.

— C’est ainsi que chacun tâche de préparer son bonheur en ce monde en attendant d’aller rendre compte de ses œuvres dans l’autre, ajouta la mère Angélique en manière de corollaire ; vous seul, chevalier, ne vous occupez guère de vos intérêts ici-bas.

— C’est si peu de chose ! murmura le jeune homme.

— Cependant, mon frère, le soin de notre fortune est l’affaire la plus importante après celle de notre salut, reprit doucement la mère Angélique : je me suis occupée de votre avenir, quelques personnes agissent en votre faveur ; vous avez des protecteurs puissans, et j’espère obtenir bientôt pour vous un emploi considérable.

— Je ne le désire point, répondit-il d’un ton découragé ; qu’ai-je à faire des biens de ce monde ? je n’aspire qu’à la retraite…

— Allez-vous parler encore de vous faire capucin ! interrompit vivement la mère Angélique ; certainement je vénère l’habit de saint François ; il a été porté par des hommes d’une vertu éminente, plusieurs ont reçu du ciel des grâces insignes, mais vous n’avez pas la pieuse ambition de marcher sur leurs traces et de devenir un saint… Croyez-moi, renoncez à ces idées, acceptez ce que je vous propose, et, au lieu de vous enfermer dans un cloître, partez pour les Grandes-Indes, allez faire votre fortune…

— Par-delà les mers ! à travers mille périls ! s’écria le cadet de Colobrières en se dressant l’œil animé, brillant d’une soudaine énergie. Oui, vous avez deviné ma vocation !… je partirai !…

L’oncle Maragnon avait tenu parole ; ses sollicitations eurent un prompt et plein succès. Il obtint pour Gaston une mission qui l’envoyait dans un de nos comptoirs de l’Inde. Le vieux négociant pourvut secrètement à tout, et pressa le départ du cadet de Colobrières avec une incroyable activité : avant le dernier jour de l’octave de la