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long-temps de marier Éléonore à mon fils Dominique, quand même nous consentirions à rompre cette union de tous points convenable, la fille de Pierre Maragnon n’épouserait jamais Gaston de Colobrières. Nous savons de quel œil on voit les mésalliances dans votre famille ; nous savons ce que c’est que l’orgueil des Colobrières… Mme veuve Maragnon n’exposera pas sa fille aux dédains de ses nobles parens : il ferait beau vraiment voir le vieux baron refuser pour son fils la main et les neuf cent mille écus de ma nièce !

— Il faut pardonner quelque chose à la vanité du rang, dit la mère Angélique. Mon père est un digne gentilhomme, un peu trop pénétré peut-être de l’orgueil de sa race ; mais il chérit ses enfans, et qui sait s’il ne finirait pas par consentir ?…

— Pardon, madame, interrompit le vieux négociant d’un ton glorieux qui valait bien les explosions de fierté du baron de Colobrières ; pardon, mais il ne nous convient pas d’attendre, de solliciter un tel honneur. Chacun a son genre d’illustration, et peut-être aujourd’hui les Maragnon vont-ils de pair avec les Colobrières… Votre nom a une belle place dans le nobiliaire, mais le nôtre est connu dans les quatre parties du monde : la raison de commerce Jacques Maragnon et fils est connue jusqu’au fond de la Chine. Voilà pour la renommée : — je ne parle pas du reste, ajouta-t-il en faisant sonner les pièces d’or renfermées dans les vastes poches de son gilet ; mais il ne s’agit pas de cela maintenant, il s’agit de réparer la faute que j’ai commise en amenant cette petite fille dans ce Paris, où elle a retrouvé son cousin Gaston.

— C’est facile, monsieur, répondit la supérieure. Je retirerai à votre nièce la permission de venir au parloir ; elle ne verra plus le chevalier de Colobrières.

— Oui, tant qu’elle sera ici, interrompit l’oncle Maragnon, et au bout de l’année ils se retrouveront sur la porte du couvent. Non, non, il faut des moyens plus efficaces pour rompre cette inclination ; il faut que le chevalier de Colobrières quitte Paris sur-le-champ… Ce jeune homme doit avoir en vue quelque carrière ?

— Il voulait se faire capucin, répondit la mère Angélique en soupirant.

— Voilà un parti bien désespéré, répliqua M. Maragnon ; on le persuadera facilement d’en prendre un autre. Il doit songer à faire sa fortune, nous l’aiderons ; je ne parle pas de l’employer dans le négoce ; le sang des Colobrières se révolterait en lui, il croirait déroger. D’ailleurs, il n’accepterait peut-être rien de moi ; mais je me suis mis en tête un autre projet. J’ai quelque crédit auprès de certaines personnes