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n’eut un visage aussi gai le jour de son entrée au couvent ; on croirait qu’elle y a passé toute sa vie.

— C’est ce que j’ai pensé dès qu’elle est entrée dans le réfectoire, dit une autre ; à voir l’appétit avec lequel elle mangeait nos lentilles, j’ai jugé qu’elle avait la vocation.

— Vous aviez bien raison, murmura Éléonore à l’oreille de sa cousine ; elles parlent, elles parlent, ces bonnes sœurs !

Au moment de venir s’enfermer pour une année au couvent, Mlle Maragnon avait changé son costume et sa coiffure. Un humble déshabillé d’indienne violette avait remplacé ses robes de soie. Elle avait quitté la poudre, et ses cheveux, qui naguère étaient galamment crêpés et relevés en hérisson, débordaient maintenant en boucles blondes et soyeuses de dessous sa petite coiffe de gaze, ornée d’un pompon bleu de ciel. Elle était ravissante dans cette simple toilette, et, par une naïve intention de coquetterie, elle demanda à la garder toute cette journée, différant jusqu’au lendemain de prendre la robe noire et le béguin tout uni des pensionnaires.

À mesure que le soir approchait, la belle Éléonore devenait rêveuse : elle éprouvait le trouble ineffable, les tressaillemens intérieurs que donne l’attente d’un bonheur long-temps désiré. Quelque chose de ce qui se passait dans son ame rayonnait sur son visage et lui donnait une expression indicible de douce félicité. Après le travail, elle alla dire l’office avec la communauté et prit place dans le chœur à côté d’Anastasie. Les religieuses qui l’observaient admiraient la prompte vocation qu’elle semblait manifester. Ordinairement le premier aspect de cette froide enceinte glaçait les âmes les plus ferventes ; elles étaient saisies de tristesse et d’effroi en présence de l’autel où s’était tant de fois accompli le même sacrifice ; elles songeaient à celles qui les avaient précédées, et qui, après avoir passé leur vie entre les murs du couvent, reposaient pour l’éternité dans les caveaux de l’église. Mlle Maragnon, loin de paraître sous l’influence de ces lugubres impressions, considérait d’un air heureux tout ce qui l’environnait, et souriait de temps en temps derrière le formulaire qu’on lui avait mis entre les mains.

En sortant du chœur, les deux cousines et la mère Angélique montèrent au parloir. Déjà le cadet de Colobrières attendait à la grille. Mlle Maragnon s’avança en rougissant, leva à peine les yeux sur lui. et dit d’une voix faible : — Bonjour, mon cousin. — Puis elle se mit à caresser le lévrier, qui s’était dressé contre la grille et passait son museau fauve entre les barreaux. Gaston répondit à ces paroles