Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant ; la trace de ses larmes s’effaça sur sa joue veloutée, ses yeux reprirent leur limpide sérénité, et après un long silence elle dit tout à coup : — Chère cousine, donnez-moi donc des nouvelles de ce brave Lambin, qui vous a suivie jusqu’à Paris ?

Si Anastasie ne s’était point doutée de ses secrets sentimens, elle lui en eût certainement voulu de parler de Lambin avant de s’être seulement informée du cadet de Colobrières ; mais elle comprit cette singulière réticence et répondit en souriant : — Lambin se porte très bien, il est avec mon frère ; certainement nous les verrons tous deux ce soir. Gaston vient tous les jours au parloir, chère cousine.

— Je l’avais bien pensé, dit ingénument Mlle Maragnon. — Puis elle ajouta comme se parlant à elle-même : — Qui sait s’il s’est quelquefois souvenu de nos promenades à la Roche du Capucin !

La cloche sonna en ce moment. — Allons ! dit Anastasie en se levant ; c’est le dîner déjà… Il va vous sembler bien maigre en comparaison de ceux que vous aviez dans la maison de votre mère.

— Que fait cela ? répliqua vivement Éléonore ; quand on a le cœur content, on dîne bien avec un morceau de pain et une pomme !… et aujourd’hui je me sens bien heureuse !

Elles gagnèrent le réfectoire. Déjà les religieuses étaient debout à leurs places ; elles attendaient en silence que la supérieure dit le Benedicite. Celle-ci entra la dernière, jeta un coup d’œil sur son troupeau, s’assura qu’il était entièrement réuni, frappa un léger coup sur la table, et, avant de s’asseoir, récita la prière qui précède le repas. Au réfectoire comme dans les salles, elle avait un siège particulier, une espèce de chaire plus élevée que les bancs de ses religieuses. Elle fit mettre un siège à son côté pour Mlle Maragnon ; Anastasie s’assit près de sa cousine. Les sœurs converses, après avoir apporté le dîner, se tenaient debout pour le service, lequel n’était pas difficile, attendu la simplicité exiguë du repas. Les tables, très étroites et très longues, étaient couvertes d’un linge blanc et grossier ; la vaisselle était des plus communes, et les carafes opaques qui accompagnaient les gobelets d’étain ne contenaient que de l’eau claire. L’ordinaire était le même pour toute la communauté ; la supérieure, comme la dernière sœur converse, n’avait qu’un plat à son dîner. Le silence était d’obligation au réfectoire, et une religieuse faisait tout haut, pendant le repas, la lecture de quelque livre de piété ; pourtant l’on tolérait les conversations à voix basse et les petites distractions que se permettaient les novices.

— Cousine, dit Éléonore un peu étonnée à l’aspect de cet austère