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commencement de ce dialogue disait tout bas à sa nièce : — Voyons, ça n’est pas gai, la vie du couvent… Veux -tu que je te ramène vite à Marseille ?…

— Monsieur, lui dit alors la mère Angélique, embrassez mademoiselle votre nièce. Je vais lui faire ouvrir la porte du cloître : nous vous la rendrons dans un an.

— J’y compte ! s’écria le gros bonhomme d’un ton presque rogue ; car, bien qu’il n’eût pas un grand fonds de sensibilité, il était affecté de cette séparation, et certains préjugés qu’il avait toujours nourris contre l’état monastique se réveillaient violemment dans son esprit. Il alla vers sa nièce, lui prit la tête dans ses deux larges mains, la baisa au front, et lui dit à demi-voix : — Vrai Dieu ! je ne conçois pas pourquoi tu es venue, pourquoi tu t’obstines à rester… Enfin, puisque tu es décidée, puisque ta mère y a consenti, fais ta volonté… Mais souviens-toi bien de ceci : Tu es la fille unique de mon pauvre frère, qui a travaillé toute sa vie pour te laisser plusieurs millions de dot ; tu es jolie, charmante ; tu as été élevée pour vivre dans le monde ; ta mère ni moi ne souffririons jamais que tu te fisses religieuse. Dans un an, je viendrai te chercher, dans un an jour pour jour, et en arrivant à Marseille tu épouseras Dominique. C’est dit, c’est décidé, c’est promis, c’est une affaire faite. Adieu, ma nièce.

Il salua la mère Angélique, et sortit brusquement du parloir.

— Mon oncle s’en va tout chagrin, dit Éléonore en soupirant. C’est un bien digne homme ; mais ce qu’il veut, il le veut !

— Comme mon père, murmura Mlle de Colobrières, à laquelle cette simple réflexion suggéra une foule de pensées mélancoliques.

Mlle Maragnon revint bientôt de la tristesse où l’avaient jetée les dernières paroles de son oncle ; elle suivit joyeusement la sœur converse, qui l’accompagna jusqu’à la porte de clôture, et la remit aux mains de la tourière chargée de l’introduire dans l’intérieur du couvent. La mère Angélique et Anastasie la reçurent à l’entrée du cloître ; toutes deux avaient relevé leur voile. Éléonore considéra un moment la supérieure, et lui dit naïvement :

— Ah ! madame, vous devriez toujours vous laisser voir ; pourquoi donc, baissez-vous votre voile devant votre beau visage quand vous venez à la grille ?

— Parce que la règle me l’ordonne, répondit la mère Angélique avec un léger sourire ; les religieuses de la Miséricorde ne peuvent paraître à visage découvert que devant leurs proches païens.