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avec cette profonde ignorance de la propreté et ce parfait mépris pour la toilette, que la future reine de la Grande-Bretagne fit son entrée sur cette terre des convenances. Ce n’est pas que le prince son mari se piquât de les observer vis-à-vis d’elle, car la première politesse qu’il lui fit fut d’envoyer au-devant d’elle sa maîtresse d’alors, lady Jersey. La princesse de Galles arrive à Greenwich ; ses voitures se font attendre, parce que lady Jersey n’était pas prête. La maîtresse du prince finit par arriver ; elle trouve la princesse mal mise, et en dit son avis. La réception que le prince fait à sa femme est encore plus curieuse, si curieuse, que nous citerons lord Malmesbury.

« Selon l’étiquette, je lui présentai la princesse Caroline, personne autre que nous n’étant dans la chambre. Elle se disposa, comme je lui avais dit de le faire, à s’agenouiller devant lui. Il la releva (assez gracieusement) et l’embrassa ; il dit à peine une parole, tourna le dos, s’en alla dans un coin de la chambre, et, m’appelant, il me dit « Harris, je ne suis pas bien ; ayez-moi, je vous prie, un verre d’eau-de-vie. » Je lui dis : Monsieur, ne feriez-vous pas mieux de prendre un verre d’eau ? sur quoi, de très mauvaise humeur, il me dit « Non ; je m’en vais chez la reine. » Et il s’en alla. La princesse, laissée seule, était dans la stupéfaction, et elle me dit : Mon Dieu ! est-ce que le prince est toujours comme cela ? Je le trouve très gros, et nullement aussi bien que son portrait. Je dis que son altesse royale était naturellement très affectée de cette première entrevue, mais qu’elle le trouverait certainement différent au dîner. »

Au dîner, ce fut le tour de la princesse : elle voulut faire de l’esprit, et fut de mauvais goût ; elle lança des volées de plaisanteries assez vulgaires à la princesse de la main gauche, qui était aussi à table, et qui ne disait rien ; mais, dit lord Malmesbury, le diable n’en perdait rien. Cette première entrevue décida du sort des deux nouveaux mariés, et chacun sait ce qui en advint dans l’histoire. Quant à lord Malmesbury, il porta la peine de sa négociation : le prince de Galles ne lui pardonna jamais.

En 1796 et 97, lord Malmesbury fut chargé d’aller à Paris et à Lille pour négocier la paix avec la république française ; nous le suivrons dans cette nouvelle mission.


JOHN LEMOINNE.