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soutiendrai toujours… (En se levant.) Adieu, monsieur, n’oubliez pas l’importance de notre conférence… Faites un pas de votre côté. Pour une femme, c’est peu exiger… »

Cette conversation est fort piquante ; mais que produisit-elle ? Rien. Si M. Harris était un fort habile homme, il avait affaire à aussi habile que lui. Potemkin lui répétait sans cesse : Flattez-la, caressez ses faiblesses ; vous obtiendrez d’elle tout ce que vous voudrez. Il avait beau flatter, il n’obtenait rien. Au contraire, l’impératrice se faisait tout concéder, et ne donnait rien en retour. Son ambition était, comme on le voit, d’être prise pour médiatrice. L’orgueil britannique ne voulait pas fléchir. Ainsi l’impératrice demanda Minorque : l’Angleterre consentit encore, elle voulut bien céder Minorque, à la condition que Catherine effectuerait le rétablissement de la paix avec la France et l’Espagne sur les bases du traité de Paris de 1762 ; « mais, écrivait lord Stormont, aucune proposition ne sera faite concernant les sujets rebelles de sa majesté britannique (les Américains), qu’on ne laissera jamais traiter par l’intermédiaire d’une puissance étrangère. » Quand cette réponse fut communiquée à l’impératrice, elle ne voulut pas y croire ; elle s’écria très spirituellement : La mariée est trop belle ; on veut me tromper. Elle dit qu’on voulait la compromettre et l’entraîner dans la guerre. Bref, elle ne vit dans cette facilité du gouvernement anglais qu’un piège ; elle transmit cette nouvelle, qui devait rester secrète, à l’empereur d’Autriche, et se fit un mérite d’avoir refusé une proposition qu’elle avait provoquée. Lord Stormont écrivait qu’il regrettait sa concession, et qu’il aurait désiré qu’elle n’eût jamais été faite.

En effet, l’impératrice n’en montra pas plus de dispositions pour servir l’Angleterre. La paix se fit sans elle, peut-être malgré elle, et avec la guerre finit en même temps la mission de M. Harris. Sa santé était gravement altérée, et il reçut enfin de M. Fox, qui était alors au pouvoir, la permission de revenir en Angleterre.

De retour à Londres vers la fin de 1783, il accepta la légation de La Haye. Il négocia une alliance entre l’Angleterre, la Hollande et la Prusse, et revint à Londres en 1788. Créé baron de Malmesbury, il resta en Angleterre jusqu’en 1793, soutenant dans le parlement la politique de M. Fox ; mais, lors de la scission du parti whig, quand M. Fox se déclara prêt à reconnaître la république française, il suivit M. Burke. M. Pitt l’envoya à Berlin ; puis, en 1794, son gouvernement le chargea de demander pour le prince de Galles la main de la princesse de Brunswick, qui depuis devint la fameuse reine Caroline.