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des mots sentis, des élans de passion, des choses douloureuses et vraies qui avaient un écho dans le cœur de Gaston, ce cœur malade que l’absence ne pouvait guérir.

Il n’est pas impossible de vivre dans la solitude quand on est environné des grands spectacles de la nature, quand on a devant soi les vastes horizons du ciel et de la mer. Les voix humaines se taisent alors, mais nous entendons d’autres voix qui parlent à notre ame. Ces bruits qui s’élèvent autour de nous peuplent les lieux les plus déserts ; nous ne sommes point seuls sur le rivage que le flot baigne avec un mélancolique murmure, ni sur la cime des montagnes continuellement frappées des âpres caresses du vent, ni dans la forêt sombre où chantent les oiseaux, ni sur la plage aride dont le silence n’est troublé que par les vagues harmonies qui résonnent dans l’air. Mais la solitude au milieu de la foule contriste et épouvante notre cœur ; nous errons éperdus à travers ce désert effrayant où bourdonnent des voix inconnues, où des murs vivans arrêtent de tous côtés nos regards. Le cadet de Colobrières sentit bientôt ce douloureux isolement. Dès qu’il eut satisfait au premier mouvement de curiosité qui l’avait porté à regarder autour de lui pour reconnaître en quel lieu il allait vivre, il détourna la vue et retomba plus profondément encore dans le morne ennui où il périssait. Ses jours s’écoulaient dans des alternatives de résolution violente ou de complet abattement : tantôt il aspirait à l’activité, aux périls d’une profession où il pourrait exposer chaque jour sa vie, et il aurait voulu se faire soldat ; tantôt il tournait ses regards vers le cloître, et se demandait s’il ne vaudrait pas mieux s’y enfermer tout de suite pour achever bientôt d’y mourir. Il n’y avait qu’une heure dans la journée dont il ne sentit pas douloureusement s’écouler chaque minute : c’était celle qu’il passait le soir au couvent de la Miséricorde, près de ses sœurs. L’une était heureuse dans son austère condition ; l’autre semblait résignée. Il y avait d’ailleurs dans l’ame de la mère Angélique une force mêlée de douceur et de sérénité qui se communiquait à ceux qui l’approchaient. Son influence rendait à Gaston le calme et le courage ; en sa présence, il ne se sentait plus si malheureux, et malgré sa pénétration elle put croire que, comme la plupart des jeunes gens, il se laissait aller au courant de la vie, sans prévision du but auquel il arriverait. Pourtant elle ne le laissait jamais seul au parloir avec Anastasie ; elle redoutait peut-être pour tous deux des épanchemens de mutuelles confidences dans lesquelles leurs cœurs se seraient exaltés. Sans connaître précisément la situation de leur ame, elle