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que la servitude ancienne s’est maintenue, pour les enfans trouvés, sous le gouvernement le plus arriéré de l’Europe. Il en est de même, à plus forte raison, pour toutes les nations étrangères à notre continent. Le mouvement de conservation et de délivrance, introduit chez nous depuis surtout deux siècles en faveur des enfans naturels et abandonnés, n’existe point pour les peuples chez lesquels le christianisme et la philosophie moderne n’ont point encore étendu leurs progrès. Le nouveau-né n’a pas cessé d’être la propriété de celui qui lui a donné naissance et qui peut le détruire, si bon lui semble. Les naturels de l’Afrique, les indigènes du Nouveau-Monde, les sauvages de l’Océanie, en un mot tous les peuples arrêtés aux formes antérieures de la civilisation, continuent de tuer ou d’exposer à leur choix les enfans qui les embarrassent. Dans tous ces pays, l’espèce humaine agit envers elle-même comme envers ces animaux domestiques dont la fécondité incommode a besoin d’être de temps en temps réprimée. Il n’y a rien à cela de surprenant, puisqu’en France même il a fallu le sourd travail des croyances et des idées pour amener définitivement le triomphe de ce principe inconnu des anciens, dont saint Vincent de Paule a fait une œuvre, dont Napoléon a fait une loi : tout ce qui est né de la femme a droit à l’existence.

L’ensemble de nos études sur l’état de choses actuel aboutit à une conclusion négative. En s’appuyant sur le mécanisme administratif, on n’arrive, comme nous l’avons vu, qu’à des résultats insuffisans. La législation en vigueur, quoique favorable aux enfans trouvés, est elle-même restée en arrière de nos institutions et de nos mœurs. Il y a donc peu d’espoir que le gouvernement parvienne à résoudre, de ce côté-là, un problème si grave, devant lequel l’habileté de Necker a reculé, et qui provoque à cette heure l’effroi des conseils-généraux. Ne conviendrait-il point, dans une telle situation morale, de déplacer le terrain des faits ? Si l’on se transportait au milieu du théâtre même des expositions, au lieu de chercher le remède dans des hospices toujours impuissans à détruire, sinon à soulager le mal, ou dans une législation pleine de lacunes, ne trouverait-on point dans la société des élémens pour un meilleur système de secours aux enfans trouvés ? C’est ici un nouveau point de vue, une nouvelle face de la question, qui a besoin d’être traitée à part, et qui nous semble réclamer une attention sérieuse.


ALPHONSE ESQUIROS.