Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et leur donna un état civil. La république fit plus, elle leur donna une mère : les enfans trouvés furent déclarés enfans de la patrie. Les évènemens allèrent plus vite que la volonté des législateurs : la république avait emporté la monarchie dans un orage ; l’empire à son tour emporta la république. Le sort des enfans trouvés se ressent du régime exceptionnel qui gouvernait alors la France ; ils sont mis hors du droit commun : seuls parmi les citoyens, la loi les condamne à ne pas jouir des chances favorables du tirage. Le ministre de la marine et le ministre de la guerre peuvent les réclamer pour le service de nos flottes ou de nos armées, dès qu’ils ont atteint l’âge de douze ans. Soumis à une sorte de servage militaire, les voilà donc traités une dernière fois comme dans le monde païen, avec cette différence qu’au lieu d’appartenir à un maître, ils sont maintenant la propriété de l’état qui les a recueillis. La patrie est bien encore, si vous voulez, une mère pour ces enfans délaissés, mais c’est une mère qui les oblige à mourir pour elle. Une disposition si contraire à nos mœurs constitutionnelles ne pouvait survivre à la chute du régime impérial. À peine le sceptre de la France, c’est-à-dire son glaive, fut-il brisé, à peine la guerre fut-elle effacée de l’Europe avec les pas du conquérant, cette mesure tout-à-fait transitoire tomba d’elle-même dans l’oubli. La restauration rendit aux enfans trouvés la liberté de choisir l’état qui leur convenait. Il est à désirer qu’on fasse disparaître à cette heure de notre code un texte aboli, dont la lettre seule subsiste encore, comme la trace d’une époque fameuse où la gloire offensa quelquefois la justice et les droits de l’humanité.

Si le décret de 1811 détourna les établissemens d’enfans trouvés de leur destination charitable, en faisant de ces maisons des pépinières de soldats ou de matelots, on ne peut disconvenir d’un autre côté que le législateur n’ait très largement pourvu (trop largement peut-être) à la conservation des nouveau-nés. Des hospices s’élevèrent dans toute la France, et un tour fut annexé à ces asiles pour protéger le mystère des admissions. Avant de juger au point de vue économique et moral cette institution mêlée d’inconvéniens, rendons ici justice au sentiment qui fit ouvrir chez nous une porte secrète de salut pour recevoir l’enfance délaissée. Ce sentiment fut généreux. La société présente aujourd’hui à Dieu, non, comme les sociétés anciennes, des victimes détruites, mais des victimes conservées, c’est-à-dire des infirmes secourus, des pauvres soulagés, de petits enfans sauvés de la mort qui les attendait à leur entrée dans la vie. Voilà les offrandes du nouveau culte que la philosophie et la science doivent inaugurer sur la terre.

Nous allons achever en quelques traits le tableau historique du sort