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ce que deviendra l’enfant qu’elles ont risqué sur les grandes eaux de l’adversité. A Paris, toute recherche de ce genre est impossible : l’hospice garde sous le secret tout ce qu’il reçoit, et ne le rend qu’après certaines formalités légales. La proportion des enfans réclamés est, à Paris, de un sur cent. La restitution est précédée d’une enquête sur la moralité des parens. Outre cette information, on exige que le père et la mère rendent à l’hospice les frais d’éducation du nouveau-né. Si les réclamans sont très pauvres, on leur fait grace de cette dette. Ce n’est point une scène dépourvue d’intérêt que celle d’un enfant remis, après un délaissement forcé, entre les mains des auteurs de sa naissance. Quelle tendre curiosité s’attache, dans le cœur de la femme surtout, à ce petit être que la misère lui a arraché et que lui restitue la bienfaisance publique ! Comme il a grandi ! comme il ressemble à sa mère ! Ne dirait-on pas qu’il revient de l’exil ou du tombeau ? Nous avons connu un jeune et pauvre ménage qu’une catastrophe subite avait réduit tout d’un coup à la plus affreuse extrémité. Il y avait dans la maison trois enfans en bas âge ; il fallut s’en défaire. La mère, avec ce courage que donne le sentiment du devoir uni à celui de la nature, travailla désespérément pour retirer ses enfans de l’hospice. Elle en racheta d’abord un du produit de son ouvrage, puis deux, puis tous les trois. Comme la lionne dont le chasseur a dérobé les petits, cette malheureuse mère revint à la charge et reprit ainsi un à un les objets de son affection, pour les ramener au gîte. Le hasard nous mit à même de rencontrer dans les bureaux deux autres réclamans qui fixèrent notre attention. Une mère qui avait délaissé son enfant fit, au bout de quelques mois, des démarches pour en obtenir la remise. Dans l’intervalle qui suivit sa demande, cette femme mourut. Le parrain et la marraine de l’enfant recueillirent la bonne intention de la défunte ils venaient l’un et l’autre pour adopter le jeune orphelin.

De tels exemples sont malheureusement assez rares. En général, la femme qui a déposé son nouveau-né dans le tour de l’hospice ne songe plus guère à ses devoirs de mère ; cet enfant n’existe plus pour elle. Nous ne disons rien de celles qui se présentent au bout de quelques années pour retirer le fruit de leur grossesse, et qui reçoivent alors la nouvelle de sa mort : c’est cependant le cas le plus ordinaire. Une statistique prétend qu’on réclame plus de filles que de garçons. Ce fait s’explique : une fille est, durant les premières années de la vie, un fardeau incommode dont on juge à propos de se débarrasser ; plus tard, on se forme d’elle une idée intéressante, on désire la ravoir auprès de soi, et on lui rouvre alors des bras incertains qui s’étaient