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moyens qu’emploie l’administration, il y a des temps dans l’année où l’hospice manque de nourrices sédentaires, soit qu’il n’en arrive pas dans ce moment-là en proportion des exigences du service, soit que plusieurs d’entre elles aient perdu leur lait. Ce dernier accident est en général la conséquence de l’ennui que ces femmes éprouvent et des travaux contre leur goût auxquels on les assujétit dans l’intérieur de la maison. Cette disette de nourrices sédentaires est un inconvénient très grave et une cause de mortalité pour les enfans qu’on garde dans l’établissement de Paris. On est alors obligé de recourir à une nourriture artificielle qui ne supplée jamais heureusement l’usage du sein. L’enfant reste ainsi dix ou douze jours privé de l’allaitement naturel. L’embarras où se trouve, dans de pareils momens, le service médical, les accidens qui en résultent, ont fait imaginer deux ou trois fois de confier à un autre système d’alimentation le soin du nouveau-né. En 1803, quatre enfans sucèrent à la Maternité le lait d’une chèvre : tous les quatre périrent. L’expérience a été renouvelée depuis, non à la maison de la rue d’Enfer, mais dans les hospices de province : en général, les résultats n’ont guère été plus heureux. C’est surtout vis-à-vis des enfans trouvés que la nature maintient ses droits.

Outre les nourrices sédentaires, l’hospice a un grand nombre de nourrices à la campagne. En général, l’administration se voit contrainte d’aller les chercher dans les provinces éloignées du centre. On conçoit, en effet, que la facilité dont jouissent, pour utiliser leur lait, les nourrices de la Normandie, de la Flandre, de la Beauce et des autres localités voisines de la capitale, doit les détourner de tout engagement avec la maison des Enfans-Trouvés, qui ne peut leur offrir qu’un très faible salaire. On est donc obligé de recruter les forces nourricières sur un rayon de soixante-dix à quatre-vingts lieues de distance, pour que les besoins de l’allaitement soient pourvus dans l’hospice de Paris. Comme ces besoins sont énormes et sans cesse renaissans, on prend à peu près ce qui se rencontre. Rien pourtant n’est plus grave que le choix des nourrices, car, il faut bien le dire, le sort de ce nouveau-né que nous venons de voir endormi dans son berceau va être lié désormais pour plusieurs années, souvent même pour toute la vie, au sort de la femme dans les bras de laquelle l’administration va le remettre. Si la nourrice est très pauvre, elle fera partager sa triste et chétive condition à l’enfant trouvé. Affaiblie par la misère, cette femme, qui donne son lait, inoculera sa faiblesse à son nourrisson ; peut-être succombera-t-elle même à l’œuvre, et la charité publique aura fait, sans le vouloir, deux victimes au lieu d’une.