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ce Prynne qui avait eu les oreilles coupées et le nez fendu pour avoir médit des acteurs. Lilburn venait d’être traîné par le bourreau de Westminster à Fleet-Prison, et avait reçu dans le trajet deux cents coups de fouet. Cromwell, le 9 novembre 1640, remit au parlement la pétition et la remontrance du martyr ; toute la séance et toute la journée avaient été employées par la lecture de réclamations semblables, écoutées avec une fureur silencieuse par les membres du parlement, qui étaient « pâles, » dit sir Symmond d’Ewes, comme le peuple lui-même pendant le supplice. Si l’on veut savoir quelle figure faisait ce jour-là le « seigneur des marécages » parmi les membres du long parlement, on n’a qu’à consulter un jeune homme qui se trouvait là, et qui a écrit des mémoires. Collègue de Cromwell, mais non son parent, comme on l’a prétendu, habitué à porter au chapeau une plume rouge à l’espagnole, une dentelle de Malines bordant ce grand col rabattu qui tombait sur le velours du pourpoint, et un galon d’or à son manteau, il resta muet d’étonnement en face du gentilhomme fermier qui défendait Lilburn. — « Ce fut alors, dit sir Philip Warwick, que je le vis pour la première fois, à l’ouverture même du parlement, qui se tint en novembre 1640. Moi qui étais membre pour Radnor, j’avais la vanité de me croire un modèle d’élégance et de nobles manières, car, nous autres jeunes courtisans, nous étions très fiers de nos beaux habits ! J’entrai à la chambre un matin, lundi matin ; j’étais bien habillé. Je vis un gentilhomme qui parlait ; je ne le connaissais pas. Il était vêtu d’une manière fort commune, en habit de drap tout uni et qui semblait avoir été fait par quelque méchant tailleur de campagne ; son linge était grossier, et n’était pas excessivement frais ; je me rappelle qu’il y avait une tache ou deux de sang sur son col de chemise, qui n’était pas beaucoup plus grand que son collet. Son chapeau était sans ganse. Il était d’une assez belle stature, avait l’épée collée sur la cuisse, le visage rouge et boursoufflé, la voix stridente, peu harmonieuse et inflexible, et il s’exprimait avec une éloquence remplie de ferveur, car le sujet de son discours ne comportait pas de bon sens ; il parlait en faveur d’un serviteur de M. Prynne, lequel avait répandu s libelles. Je déclare sincèrement que mon respect pour cette assemblée diminua beaucoup ; elle écoutait le gentilhomme avec une grande attention[1]. »

Tel est Cromwell à quarante-et-un ans, au moment où l’Angleterre va se partager en deux armées, protestantisme septentrional

  1. Mémoires de sir Philip Warwick.