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« Encore une fois, adieu et portez-vous bien. Le Seigneur soit avec vous ; ainsi prie

« Votre vraiment affectionné cousin,

« OLIVIER CROMWELL. »


Il est évident que la conviction la plus ardente animait cet homme, enseveli long-temps dans la « ferme des marécages, » exclusivement : occupé de ses chers prédicans, et versant des larmes sur les jours néfastes et scandaleux de sa jeunesse. Les paroles bibliques qu’il prononce sont précisément celles du psaume puritain qui se chante encore aujourd’hui dans les vallons sauvages d’Écosse :

Dans Meshec forcé de gémir,
Que les heures me semblent lentes !
Kedar m’enferme dans ses tentes ;
Hélas ! quand pourrai-je en sortir !

« Woe’s me that I in Meshec am,
« A sojourner so long !
« Or that I in the tents do dwell,
« To Kedar that belong ! »


Voilà ce que psalmodient en chœurs nasillards d’honorables fermiers et d’excellens petits bourgeois des villes écossaises, qui n’ont pas commis d’autre péché que celui d’exister ; le péché originel, fonds de la doctrine calviniste, éternelle douleur des prédestinés, respire dans ces cantilènes funèbres. Aux yeux des hommes qui pensent ainsi, la main de Dieu pèse toujours sur ce monde châtié. Notre devoir est la résignation ; suspendus entre les deux éternités, incertains de notre sort, pleins de mépris pour la vie, nous ne devons aspirer qu’à la délivrance et aux régions suprêmes et sereines d’une liberté définitive. Mus par de tels ressorts, de quoi les hommes ne sont-ils pas capables ? La question de savoir si Cromwell s’est contenté de faire mouvoir ces ressorts en les méprisant n’est plus un problème ; on vient de lire cette lettre à sa cousine, où il parle de « son ame sombre, où Dieu seul reluit ! , » Elle fut lue sans doute à déjeuner chez sir William Masham, dans la grand’ salle du château d’Otes, et toutes cers graves personnes aux pourpoints noirs et garnis de dentelles, aux vastes fraises, aux bottes énormes et toujours éperonnées, portant hauts-de-chausses larges et flottans, ne manquèrent pas de commenter, pour leur édification commune, l’épître du fermier gentilhomme ; on peut imaginer