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M. Crewe, conservées au Musée britannique ; on croit entendre les notes aigres et vibrantes de cette voix qui se fit toujours obéir.

En effet, la chambre obéit au membre de Huntingdon, et ordonna contre ces quatre suspects l’enquête, dont elle confia la charge « à M. Cromwell. » Renvoyé dans ses foyers par la dissolution du parlement, il n’en resta pas moins populaire, puisque immédiatement après la session il fut nommé avec son précepteur puritain, le même docteur Beard, juge de paix du canton. Son ambition n’allait guère plus haut ; la vie agricole et l’élève des bestiaux lui semblaient la seule destination de sa vie active ; il vendit pour environ 50,000 francs de propriétés, acheta des pâturages plus considérables à Saint-Yves, cinq milles au-dessous de Huntingdon, sur les bords de la même rivière d’Ouse, et y alla vivre avec sa famille dans une situation étrangement lugubre.

Il faut avoir vu cette petite ville obscure de Saint-Yves[1] pour se faire une idée de l’aspect somnolent qui la distingue ; ce sont des maisons rousses, un pont pointu où trois personnes peuvent à peine marcher de front, un gazon épais, haut et noirâtre, qui environne la ville, et un limon métallique traîné par les flots stagnans qui la baignent. De loin vous n’apercevez aucune trace d’habitation, tant les toits sont bas. Une aiguille de clocher très pointue perce un long rideau de saules pleureurs et révèle la ville au voyageur, surpris de la rencontre. A l’entour, le saule blanc et le gazon noir dominent ; tout fait silence ; la ville est endormie. Les jours de marché seulement, on entend des bêlemens et des beuglemens de bestiaux, joints au son des clochettes ; le nom antique du principal domaine de l’endroit, dont Cromwell loua quelques dépendances, est encore le « Manoir du Sommeil » (Slepe-Hall) ; les vieux titres portent ces mots : Saint-Yves cum. Slepa, « Saint-Yves du Sommeil. » Là Olivier Cromwell alla ensevelir ses pensées calvinistes et ses tristesses sauvages ; là il rêva pendant cinq ans, vendit ses bœufs, écouta les lecturers, s’enivra de la Bible, prospéra en qualité d’éleveur et de fermier, et, aidé par Élisabeth Bourchier, bonne ménagère, fit l’éducation de six enfans. Les choses éternelles l’occupaient plus puissamment que les objets temporels. Malgré les efforts et les châtimens de Laud, les souscriptions pour l’entretien des missionnaires ou lecturers avaient continué en secret, et l’un d’eux, nommé Wells, établi par de tels secours, avait donné pleine satisfaction à Cromwell et aux habitans de Saint-Yves. Pour que les sermons

  1. Voyez Gilpin, Dibdin, Wells, Hearne, etc.