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Quant au fonds de son système, il accepte avec trop d’ardeur la responsabilité du puritanisme et de tous les actes des puritains ; sa morale et sa politique, enfermées dans le cercle d’une exaltation enthousiaste dont il fait l’apothéose, n’ont rien de satisfaisant, toutes poétiques qu’elles soient. Jamais enfin cet esprit rare n’a été plus exclusif dans ses saillies, plus indiscipliné dans son humeur ; il faut bien le dire, il a complètement manqué son but.

Appliquée à l’histoire, la méthode de Carlyle est inadmissible. Au lieu de les placer sous leur jour et dans leur ordre de génération, elle embrouille et obscurcit les faits qui ont si grand besoin d’être éclairés ; de l’intensité même de la réflexion naît une sorte d’obscurité dans la lumière. Assez fort pour recueillir tous les documens d’une grande œuvre, Carlyle n’a pas su les grouper dans un ensemble organique.

On lui doit de la reconnaissance pour ces documens précieux, souvent neufs. Par malheur, à cette incohérence des matériaux, il a joint la burlesque humeur de son style ; le livre est une caverne de Trophonius ; les éclairs s’y battent avec les nuages, on quitte une énigme pour entrer dans un logogriphe, les singularités de Sterne et les caprices d’Hoffmann rencontrent les obscurités de Jacob Boehme ; l’histoire, muse grave, devient ce qu’elle peut.

Cherchons à réunir et à grouper ce que Carlyle a découvert d’important sur la généalogie, la naissance, la famille et les quarante premières années de Cromwell ; les annalistes contemporains n’ont laissé à ce sujet que des obscurités ou des fables, Brodie et Godwin des hypothèses ou des apologies. La plupart des historiens du XVIIIe siècle ont attribué à Cromwell les vices débauchés dont le pamphlétaire Heath chargea sa mémoire dans le petit volume intitulé le Fouet, -Flagellum, ou la Vie et la Mort d’Olivier Cromwell. C’est comme si l’on écrivait la vie de Napoléon Bonaparte d’après les satires qui, entre 1815 et 1817, flagellèrent « l’usurpateur corse. » Rien de plus curieux à exécuter que cette restitution du caractère de Cromwell dans ses premières années : comment se prépara-t-il aux destinées que Dieu lui réservait ? par quels degrés s’éleva-t-il ? quelle fut l’éducation progressive de ce dictateur ? Carlyle ne l’a pas dit : il s’est contenté de réunir des élémens qui peuvent servir à dégager l’inconnue. Il a dédaigné la solution de l’équation et l’a seulement posée. Telle sera notre tâche ; le représentant du calvinisme septentrional au XVIIe siècle, qu’a-t-il été dans la vie provinciale dont nous signalerons les principaux traits ? Nous aurons à nous occuper plus tard de la maturité de Cromwell, c’est-à-dire de l’époque militante qui le conduisit au protectorat, et de