Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus complète et plus vraie de la nature humaine, à la morale de l’intérêt celle du devoir, à une métaphysique toute négative la foi du genre humain retrouvée au plus profond de la conscience, et tout ensemble au faîte des plus libres spéculations. Ce fut l’œuvre propre qu’entreprit avec une ardeur merveilleuse le jeune suppléant de M. Royer-Collard, emporté dès les premiers jours, et comme malgré lui, hors du cercle étroit où sa sincère et pieuse déférence avait d’abord voulu s’enfermer, cherchant partout, en Allemagne, en France, et déjà dans l’antiquité, des adversaires à Condillac, et à lui-même des inspirateurs ; pénétrant courageusement dans les souterrains de la philosophie germanique, allant de Kant à Fichte, quittant Fichte pour Malebranche et Malebranche pour Platon, et préparant de la sorte l’union future, l’union aujourd’hui indissoluble de la philosophie et de son histoire.

Sans rester étranger à aucun des grands problèmes philosophiques, l’enseignement de 1815 à 1820 eut pourtant ce caractère de tout ramener au problème moral comme à un centre commun de critique et d’analyse. Or, de toutes les applications fondamentales de l’éclectisme, la morale est celle dont il était resté le moins de traces, et qui présente en ce moment le plus d’intérêt et de nouveauté. Nous sommes heureux de pouvoir satisfaire d’avance la curiosité des amis de la philosophie, en citant quelques fragmens où les vues morales de M. Cousin sont présentées dans un style digne d’elles par la noblesse et la pureté. Pour nous, qu’il nous suffise de signaler en peu de mots le trait essentiel qui les caractérise.

La morale que la philosophie française s’honore d’enseigner est entièrement fondée sur la raison, et en même temps elle est d’une irréprochable sévérité. C’est au nom de la conscience qu’elle nous parle de nos devoirs ; mais la religion la plus austère ne nous les imposerait pas avec une autorité plus inflexible. Ce dut être un noble spectacle, en ces tristes premières années de la restauration, où les caractères fléchissaient sous la double servitude d’une philosophie sensualiste encore debout et d’une réaction religieuse qui préludait aux derniers excès ; ce dut être une source de nobles émotions et de généreuses espérances que cette voix mâle et fière qui disait à la jeunesse : La liberté fait toute notre dignité morale, et l’essence de la liberté elle-même, c’est sa subordination au devoir. Les générations nouvelles apprenaient à cette sévère école à répudier en ce qu’il eut d’incomplet l’esprit du XVIIIe siècle, tout en retenant ce qui fit sa grandeur et sa force, je veux dire l’indépendance de la pensée et l’énergique sentiment des droits de l’homme. En redisant ses leçons de 1818, M. Cousin peut se rendre ce témoignage qu’il est encore aujourd’hui ce qu’il était dans ces orageuses années de sa jeunesse, où il combattait au premier rang contre une réaction formidable. Combien d’autres ne pourraient dire comme lui : « Ce sont les principes de notre mortelle révolution qui formaient déjà, comme ils composent encore aujourd’hui après vingt-cinq années de réflexions nouvelles, notre foi morale et politique ! » Mais ce n’est pas ici le moment de récriminer ; hâtons-nous de livrer au lecteur quelques-unes de ces fortes pages où le sentiment moral