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bande mais il n’en tient pas compte dans les arrangemens commerciaux, qui sont toujours basés sur les chiffres officiels. La contrebande est enfin un foyer permanent de démoralisation ; elle entretient la monstrueuse vénalité des agens du fisc ; elle dresse les populations au mépris des lois : de la contrebande à main armée aux guerillas factieuses il n’y a pas loin. Elle compromet la sûreté des particuliers tout autant que celle du gouvernement : un bandit contumace n’e qu’à s’affilier à la contrebande pour continuer impunément ses brigandages ; la connivence intéressée des douaniers et des assureurs de fraude lui permet d’aller et venir en toute sécurité.

La réforme que médite le gouvernement espagnol est donc l’élément obligé, le véritable point de départ de la réorganisation du pays ; mais ici les obstacles naissent en foule. Tant de capitaux, tant de bras sont engagés dans la contrebande, au-delà des Pyrénées, que l’abaissement des tarifs douaniers y équivaut à un bouleversement social. Voilà le grand, voilà peut-être le seul problème politique de la Péninsule. Pour quiconque étudie la révolution espagnole sans idées préconçues, elle est toute là. Pourquoi, par exemple, les provinces basques, moins façonnées que le reste du pays aux traditions du despotisme, sont-elles devenues, il y a douze ans, le centre de la réaction absolutiste ? Parce que la révolution, à son début, n’avait pas assez dissimulé ses plans de centralisation. Converties, de temps immémorial, en entrepôt de contrebande, grace à la franchise de leurs frontières-nord, les provinces basques auraient tout à perdre à un système de nivellement qui, tôt ou tard, les engloberait dans le cercle douanier. Si, plus récemment, les exaltés, après avoir déblatéré six ans contre la dictature militaire, ont fini par l’introniser avec l’ex-régent, si ces mêmes exaltés, qui avaient opéré le soulèvement de 1840 au cri de : meurent les Français ! se sont insurgés, en 1842-43, au cri de : meurent les Anglais ! c’est qu’ils étaient le prête-nom de la coterie des contrebandiers. L’avènement d’Espartero ajournait tout traité de commerce avec la France, comme plus tard sa chute prévenait le danger plus imminent encore d’un traité avec les Anglais. Aussi, est-ce dans les villes du littoral, et principalement à Barcelone, que les deux mouvemens ont pris naissance. Le projet dont vont être saisies les cortès sera donc un vrai coup de partie pour le juste-milieu espagnol. Le ministère n’en méconnaît pas l’importance, car il réserve la question des cotons, autour de laquelle se groupent de préférence les susceptibilités menaçantes qu’il se prépare à combattre. C’est assez dire qu’il ne veut marcher qu’à pas lents dans la voie périlleuse où la nécessité l’engage. Le temps est d’ailleurs le plus sûr auxiliaire de la réforme des tarifs. La France, l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, envoient annuellement en Espagne quelques spéculateurs hardis qui, pour tenir tête au monopole des contrebandiers, font participer l’acheteur aux bénéfices de la fraude, en basant leur prix de vente sur le prix réel de revient. Quelques années encore, et les importateurs indigènes subiront, bon gré, mal gré, cette impulsion. Le commerce interlope