Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

évènemens de la session. La victoire que doit chercher l’opposition n’est pas dans les chambres, mais en dehors des chambres, devant les collèges électoraux. La session doit, dès les premières discussions, prendre un caractère électoral : c’est à l’urne électorale qu’il faut viser, et non plus à l’urne parlementaire, car la destinée du pays est dans les élections et non dans les chambres.

Les cortès espagnoles ont été ouvertes le 15 décembre. Le ministère se félicite à bon droit, dans le discours de la reine, de la tranquillité dont jouit le pays et de l’insuccès qu’ont rencontré partout les tentatives des perturbateurs. Jamais, en effet, réformes n’ont été accueillies avec plus de calme que les réformes opérées depuis deux ans, et jamais cependant, depuis 1833, l’état politique de l’Espagne n’avait subi des remaniemens plus profonds. Un fait caractéristique de la situation actuelle, c’est qu’à peine revenu aux affaires, le parti modéré a pu impunément entreprendre et mener à bonne fin cette réorganisation des municipalités dont la simple annonce avait été, en 1840, le signal de sa chute. Sans doute, la déclaration de la majorité de la reine n’a pas peu contribué à une transformation si complète de l’esprit public en restituant à la royauté l’initiative qu’avaient accidentellement usurpée les partis ; mais il faut reconnaître aussi que trois ans de mécomptes ont rendu l’ancienne opposition plus circonspecte : elle commence à comprendre que sa force, son avenir, résident, non pas dans l’émeute, non pas dans des essais d’usurpation qui n’aboutissent qu’à la déconsidérer et à la désarmer au profit de quelques ambitieux, mais bien dans le jeu normal des institutions parlementaires. La dictature militaire enfin, cette théorie qui a si long-temps fermenté au fond du vieux levain ayacucho, ne paraît plus possible. Après l’expérience qu’en a faite Espartero, et, dans un pays où l’armée pourrait constituer à elle seule une majorité, l’absence de cet élément de troubles doit être compté pour beaucoup. Voilà, à notre avis, la triple garantie sous laquelle s’abritent les plans réformateurs du gouvernement modéré.

Ce n’est pas à dire que toutes les difficultés soient épuisées ; il en reste une surtout contre laquelle le parti placé aujourd’hui à la tête des affaires peut venir inopinément se briser : nous parlons de la réduction des tarifs de douane, dont les cortès vont être saisies. S’il est une réforme indispensable, capitale, c’est assurément celle-là : finances, avenir industriel, progrès agricole, amélioration morale du pays, tout en dépend. Le chiffre exorbitant des tarifs actuels offre un tel appât à la contrebande, qu’on peut calculer que les neuf-dixièmes des produits importés en Espagne y pénètrent en fraude. Ruineux pour le trésor, cet état de choses paralyse de plus tout essor industriel : le bon marché résultant de la fraude ne permet pas aux fabricans indigènes de soutenir la concurrence des similaires de l’étranger. L’agriculture n’en souffre pas moins. La protection chimérique derrière laquelle l’Espagne s’est retranchée autorise les autres pays à grever de droits proportionnels les matières premières de la Péninsule. L’étranger sait très bien profiter de la contre-