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Voyez en effet à quoi nous a servi, dans la question du Texas, de marcher de concert avec l’Angleterre, de souhaiter avec elle le maintien de l’indépendance de cet état démembré du Mexique. M. Guizot a fait à la tribune une grande théorie sur l’équilibre qu’il fallait établir entre les diverses puissances américaines. L’équilibre européen, en effet, est aujourd’hui malheureusement une théorie ruinée et démentie par les faits. Voilà pourquoi peut-être on l’avait transportée en Amérique, pour voir si elle n’y réussirait pas mieux. L’expérience n’a pas été heureuse. Le Texas a été annexé aux États-Unis, en dépit des réclamations de la France et de l’Angleterre : un nouveau mode de conquête, l’annexion, s’est trouvé introduit dans le droit public de l’Amérique, et dans son message M. Polk n’a pas manqué de protester en termes violons contre la prétention qu’avait l’Europe d’établir en Amérique un équilibre entre les divers états, entreprise qui a toutes sortes d’inconvéniens : celui d’abord de blesser la fierté américaine, et cet autre encore, de viser à l’impossible. On ne peut, en effet, maintenir l’équilibre entre les divers états d’un continent qu’à la condition de trouver entre ces divers états une certaine égalité de forces. L’équilibre ne s’invente pas, il se trouve ; on peut le maintenir quand il existe, mais on ne le crée pas. Or, en Amérique, il eût fallu le créer, car il n’existe pas. Quelle égalité de forces y a-t-il entre le Mexique et les États-Unis ? quel équilibre établir ? à quoi bon vouloir ce qu’on ne peut pas ? à quoi bon blesser, par une malveillance impuissante, les sentimens d’un peuple ami de la France ? La faute de conduite que nous avons faite dans l’affaire du Texas tient à cette solidarité de politique et à cette communauté d’action que l’on veut établir entre la France et l’Angleterre.

Non pas que nous soyons ennemis de l’alliance anglaise, non pas que nous ne reconnaissions avec plaisir l’union chaque jour plus étroite qui se fait entre les deux peuples. L’alliance des intérêts cimente et consolide cette union. Les deux bourses de Londres et de Paris vivent aujourd’hui de la même vie ; elles respirent de la même haleine. Or, de notre temps, la destinée des peuples semble se faire à la Bourse. Nous avons même à remarquer le témoignage que l’Angleterre nous a donné récemment du besoin et du désir qu’elle a de vivre en bonne entente avec la France : nous voulons parler de l’obstacle qui a empêché la formation du ministère whig. L’Angleterre de 1845 n’a pas pu pardonner à lord Palmerston de l’avoir brouillée avec la France en 1840. Lord Palmerston est un homme d’état éminent, un habile orateur ; mais il est une difficulté. Voilà ce que la Bourse de Londres n’a ni oublié ni pardonné ; voilà ce qui a surtout empêché le ministère whig de se constituer. Nous ne méconnaissons pas la signification politique d’un pareil fait, et nous croyons même qu’il a plus de portée qu’on ne le croit en général ; mais ce que nous voulons dire, c’est que ce fait était complètement imprévu, c’est qu’en France personne ne pensait que l’Angleterre ressentit à ce point la nécessité de vivre en sympathie avec la France : il y a donc entre les deux pays une communauté de vie qui est incontestable. Mais c’est précisément pour ne pas compromettre et gâter cette communauté naturelle qu’il est important de