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L’Angleterre attachait un grand prix au maintien des traités de 1831 et 1833. La France, au contraire, en désirait vivement l’abrogation. Ces traités sont abrogés, et les choses replacées, nous assure-t-on, sous la règle du droit des gens, c’est-à-dire sur le pied où elles devaient être antérieurement au 30 novembre 1831.

Toutes les concessions sont donc en apparence faites par l’Angleterre.

En réalité, il en a été bien autrement.

On a transigé.

L’Angleterre a consenti à abroger les traités de 1831 et 1833. La France a consenti à modifier le droit des gens. On a aboli le droit de visite fondé sur les traités, et on a institué, en le déclarant conforme au droit des gens et à la pratique constante des nations maritimes, le droit de visite pour vérification de la nationalité des navires. Ainsi, par la convention du 29 mai 1845, il y a eu concessions de part et d’autre ; mais elles sont fort inégales.

L’Angleterre a beaucoup gagné en paraissant tout concéder et ne rien obtenir. La France a beaucoup perdu en paraissant tout obtenir et ne rien concéder.

Un célèbre publiciste anglais, Jérémie Bentham, a dit : « Dans les traités entre nations, si l’une fait une concession à l’autre, il est d’usage, pour sauver le point d’honneur, de donner aux articles un air de réciprocité. L’objet serait-il, par exemple, de permettre en Angleterre l’importation des vins de France, on stipulerait que les vins des deux contrées peuvent réciproquement s’importer, en payant les mêmes droits. » Il n’y a pas un des traités conclus par l’Angleterre sur le droit de visite réciproque avec les nations diverses, qui n’offre un exemple frappant de ce genre de sophisme.

Il me semble donc important d’établir le sens et la portée de la convention du 29 mai 1845. Je me propose de montrer : 1° que le droit de vérifier le pavillon des navires marchands, loin d’être conforme aux principes du droit des gens, est une véritable innovation ; 2° que l’exercice de ce nouveau droit, loin de replacer notre commerce sous la surveillance exclusive de notre pavillon, doit entraîner, pour notre marine marchande et pour le maintien des bons rapports de la France avec les autres états maritimes, des inconvéniens plus nombreux et plus graves : que ceux qui résultaient du système récemment abrogé ; 3° que ce même droit, sans être d’aucune utilité pour la France, sert uniquement à constituer la police maritime exercée par l’Angleterre.