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John Russell considéra sans doute la situation des tories modéras indépendamment de leurs dispositions personnelles ; il jugea que, si le ministère whig n’avait pas à compter sur leur alliance, il n’avait pas non plus à redouter leur hostilité, et, sans s’arrêter à l’étude de leurs mouvemens, il crut devoir passer outre.

Au moment où lord John Russell, pour répondre à la confiance de la reine et pour ne pas négliger un retour de fortune, entreprenait de renouer les anneaux brisés du ministère whig, les principaux membres de cette combinaison étaient presque tous absens. Lord Palmerston se trouvait seul à Londres, et, depuis le premier instant des négociations jusqu’au dernier, il fut aussi le seul qui encouragea le premier ministre désigné dans la pensée de relever, malgré les difficultés des circonstances, l’espèce de défi jeté au parti. Il fallait mander lord Lansdowne, lord Morpeth, lord Normanby, lord Grey, M. Macaulay, M. Baring, M. Labouchère, sir J. Hobhouse, lord Cottenham, dispersés aux quatre coins de l’Angleterre. De là, les lenteurs de cet enfantement qui ne devait pas arriver à terme. Après plusieurs réunions à Chesham-Place, résidence de lord John Russell, réunions entremêlées de voyages à Windsor, où la reine s’était rendue pour faciliter les communications qu’exigeait le dénouement de la crise, lord John Russell, effrayé sans doute de la désunion et de la froideur qu’il apercevait autour de lui, fit savoir à sir Robert Peel que, dans le cas où le premier ministre consentirait à garder ou à reprendre la direction des affaires publiques, il pourrait compter sur l’appui de l’opposition. Sir Robert Peel déclina l’ouverture ; il ne voulait pas gouverner par la permission ni sous le patronage des whigs, et, si l’opposition devait renoncer au gouvernement, il entendait que ce fût non par un acte de déférence pour lui, mais par un aveu bien constaté d’impuissance.

Ce calcul égoïste ne dut pas échapper à lord John Russell ; il comprit sans doute aussi que l’occasion qui s’offrait aux whigs était une trêve inespérée à l’espèce d’ostracisme qui avait pesé sur eux depuis quatre ans, et qu’en renonçant à la saisir, ils allaient passer condamnation dans leur propre cause. Les ouvertures de conciliation adressées à sir Robert Peel remontent au 17 décembre ; le 18, après avoir consulté ses futurs collègues, et après avoir obtenu que le duc de Wellington, quoique étranger à la combinaison, conservât le commandement de l’armée, lord John Russell acceptait publiquement la mission de composer un ministère ; ce qui est la formule consacrée en