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Quoi qu’il en soit, les obstacles étaient assez nombreux, et la situation assez grave pour justifier l’hésitation que les whigs firent d’abord paraître. Sir Robert Peel se retirait, bien qu’il eût la majorité dans la chambre des communes. Le chef de la minorité n’allait-il pas se placer dans une situation moins enviable encore et plus précaire, en acceptant un pouvoir que des courans contraires devaient annuler ? Le seul avantage des whigs consistait dans la netteté de leur conduite. Moralement, ils étaient mieux placés que les tories pour entreprendre la réforme des lois sur les céréales ; car ce principe, à des degrés divers, avait toujours fait partie de leur bagage politique : ils n’avaient ni passé à renier, ni engagemens à rétracter, et ils ne partaient pas de la prohibition pour aboutir, à force de métempsycoses, au giron de la liberté. Leurs intentions n’étant pas suspectes, leurs actes devaient en avoir plus de force, et l’opinion publique enflait leurs voiles long-temps délaissées.

Mais le gouvernement est, avant tout, une question de majorité, c’est-à-dire de nombre. Sur ce point, les whigs n’avaient qu’à ouvrir les yeux pour apercevoir les plus tristes réalités. Dans la chambre des communes, ils n’avaient pas la majorité, et ils n’étaient pas certains de l’obtenir pour cette réforme spéciale, même avec l’appui de sir Robert Peel. Enfin une dissolution, en la supposant prochaine, ne pouvait pas leur faire gagner plus de vingt à trente voix. Quelle que fût l’énergie avec laquelle se prononçât l’opinion publique, il n’y avait pas lieu d’espérer, dans les élections, des résultats comparables à ceux que l’on avait emportés d’assaut, à la veille et en vue du bill de réforme. Les convictions se modifient, mais on ne convertit pas des intérêts.

La plus vulgaire des prévoyances conseillait donc de poser la question à la chambre actuelle, et de la mettre en demeure ; mais il fallait d’abord connaître les intentions de ceux des ministres démissionnaires qui avaient paru pencher pour une réforme des lois sur les céréales : aurait-on le concours de sir Robert Peel, et détacherait-il de la majorité un certain nombre de voix ? Voudrait-il, en un mot, faciliter ou embarrasser la marche du ministère dont sa retraite provoquait la formation ? Il paraît que, dans une entrevue de lord John Russell avec sir James Graham, le chef des whigs demanda des explications qui ne lui furent pas données complètes ni très rassurantes. Cependant la réserve dans laquelle se renfermaient M. Peel et ses amis n’impliquait pas nécessairement un refus de concours. Lord