Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et que le discours du trône recommandera aux chambres d’examiner sans délai les lois sur les céréales, afin d’en préparer l’abrogation complète. Sir Robert Peel dans la chambre des communes, et le duc de Wellington dans la chambre des lords, se disposent, dit-on, à mettre à exécution le vœu exprimé par la couronne. » La nouvelle, présentée dans ces termes absolus, excita d’abord autant d’incrédulité que de surprise. Comment admettre, non pas seulement que sir Robert Peel eût brûlé ses vaisseaux (car le même homme qui s’était déjà fait whig pouvait tout aussi bien aller jusqu’au radicalisme), mais que le duc de Wellington, l’auteur de la loi de 1828, un membre de cette trinité de ducs en qui se personnifiait le système protecteur, abjurant les croyances de toute sa vie, se rendît volontairement et sans transition complice d’un revirement que l’aristocratie foncière allait regarder comme une trahison ? Cependant le Times insistait, malgré les démentis et les clameurs de la presse ministérielle, et il faut avouer que les évènemens qui suivirent semblent lui avoir donné raison.

Il y aurait quelque témérité à prétendre que la proposition faite au conseil par le premier ministre, et adoptée par la majorité dans les premiers jours de décembre, fût la suppression immédiate et absolue de tout droit d’importation sur les grains provenant de l’étranger ; mais que la résolution, arrêtée un moment entre les membres du cabinet, ait impliqué l’abrogation complète des lois sur les céréales ou seulement une modification importante dans l’économie de ces lois, il n’en est pas moins certain que le ministère avait résolu d’abandonner la politique qu’il avait jusque-là défendue dans cette question, et que le duc de Wellington s’était d’abord rallié au venu de ses collègues. La publicité prématurée donnée par le Times aux projets du conseil paraît avoir ébranlé la résolution du duc, résolution qui avait dû lui coûter beaucoup, et qui était trop récente pour être fermement assise. Craignant de se voir en butte aux reproches de ses amis politiques avant l’heure où le pays recueillerait les fruits de ce douloureux sacrifice, il crut sans doute qu’il ne lui était permis ni d’appuyer ni de combattre une détermination à laquelle il avait eu part, et il envoya sa démission à sir Robert Peel. La retraite du duc de Wellington entraînait la dissolution du ministère. Le cabinet avait besoin, pour vivre et pour agir, de la majorité dans les deux chambres. Sir Robert Peel était tout-puissant à la chambre des communes, mais le duc de Wellington disposait de la chambre haute ; et comment gouverner, quand on relevait des intérêts aristocratiques, sans le concours de l’homme