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elle a tout mis en œuvre ; ni l’enthousiasme ni l’argent ne lui ont manqué. Depuis l’union politique de Birmingham, cette formidable démonstration qui intimida l’aristocratie au point de décider l’adoption du bill de réforme, l’Angleterre n’avait rien vu de comparable. Pourtant la ligue est plus savamment et plus fortement conçue : elle a un principe de vie et de durée, elle est à la fois politique et industrielle ; c’est la protestation d’une classe de citoyens qui aspire du chef de la richesse, comme d’autres du chef de la propriété territoriale, à l’influence et au pouvoir.

Le ministère, placé entre les deux camps, s’était efforcé de rester neutre. Il tenait au parti agricole par son origine et par les sympathies bien connues de la plupart de ses membres ; il tenait au parti industriel par les mesures qu’il avait déjà prises en faveur de la réforme commerciale, et laissait dériver sa barque au courant des idées. Il n’avait, du reste, d’engagemens avec personne. La loi existante, qui est l’ouvrage de sir Robert Peel, est une atténuation du système prohibitif, tel que les lois de 1815 et de 1828 l’avaient institué ; mais, quoique lié à cette mesure par un amour-propre d’auteur, le premier ministre, mis en demeure par ses partisans de la déclarer définitive, avait refusé hautement de leur donner cette garantie. La situation, à ce moment, ne présentait aucun symptôme d’urgence ; le jour du succès ou de la défaite ne semblait prochain pour aucun des deux partis. Dans la chambre des communes, la motion annuelle de M. Villiers avait été repoussée par une majorité de deux contre un[1]. En dehors du parlement, la ligue agissait vigoureusement sur les esprits ; elle gagnait du terrain, mais sans acquérir cette force d’impulsion qui annule la résistance. Le parti manufacturier était en voie de faire des conversions, tandis que les argumens de ses adversaires se montraient, selon l’expression de lord John Russell, de plus en plus faibles. Il travaillait encore, non sans résultat, à fabriquer des électeurs, en se prévalant de la disposition légale qui permet à tout possesseur d’une propriété (freehold) de 40 shillings de revenu de prendre rang dans les listes électorales ; mais l’action des ligueurs ne s’exerçait que sur les grandes villes et sur les comtés les plus voisins des centres industriels. Après deux années d’efforts, ils avaient tout au plus la perspective de déplacer vingt à vingt-cinq voix dans les élections prochaines. Ayant voulu aborder trop tôt ce rôle politique et faire dès à présent

  1. 254 contre 122.