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lointain : la possession du territoire de l’Orégon pouvait donner lieu à des difficultés sérieuses, qu’aggravait encore l’humeur envahissante des États-Unis, encouragée par l’adjonction du Texas ; mais le gouvernement, en vue du conflit que l’on redoutait, avait fait les plus formidables préparatifs, et derrière lui l’Angleterre était unanime.

Grace à la position insulaire du Royaume-Uni, à la prépondérance de ses forces navales et au développement qu’ont pris ses intérêts coloniaux, les questions extérieures n’y occupent que très médiocrement l’attention publique. On les abandonne au gouvernement avec une confiance qui ne peut tenir qu’à l’absence du danger. Ce détachement à peu près absolu de la politique, dans son application aux affaires du dehors, permet au peuple anglais d’intervenir plus activement et avec plus d’efficacité dans la conduite de ses affaires intérieures. Ailleurs, on dirige peut-être l’opinion publique ; en Angleterre, l’aristocratie, le gouvernement, la presse, à très peu d’exception près, tout le monde la suit. Après l’émancipation des catholiques et la réforme électorale de 1832, la question des céréales va bientôt confirmer, par un exemple nouveau, ce principe du gouvernement parlementaire.

La gravité de la question est dans la scission profonde qu’elle fait naître entre les intérêts de la propriété foncière et les intérêts industriels. Des deux côtés, ces intérêts sont organisés pour la lutte. Les propriétaires fonciers, n’admettant pas que l’on puisse abolir ni même réduire les droits établis à l’importation des grains étrangers, sans diminuer par contre-coup leurs revenus et la valeur des terres, ont formé, en vue du maintien des lois sur les céréales, des associations agricoles qui s’intitulent sociétés de protection. Les manufacturiers, considérant la législation qui leur interdit d’échanger leurs produits contre les blés du Nouveau-Monde ou de la Baltique comme un instrument de cherté et comme un obstacle au développement des relations commerciales, insistent au contraire pour que ces lois soient effacées au plus vite d’un tarif de douanes qui a déjà remplacé le principe de la prohibition par celui de la liberté. Pendant quelque temps, leurs réclamations ont gardé un caractère individuel ; mais, depuis deux ans, l’association qui s’est formée à Manchester sous le tit e de ligue contre les lois sur les céréales (anti-corn-law league) a compris qu’elle ne pouvait gagner sa cause qu’à la faveur de l’agitation quelle imprimerait à l’opinion publique. Brochures, journaux, réunions solennelles, prédications ambulantes, souscriptions fabuleuses,