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DU COMMERCE DES PEUPLES DE L’AFRIQUE SEPTENTRIONALE DANS L’ANTIQUITÉ, LE MOYEN-AGE ET LES TEMPS MODERNES, PAR M. MAUROY[1]. — Le commerce des peuples de l’Afrique septentrionale a traversé des phases bien diverses depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. L’histoire de ce commerce n’est pas seulement curieuse, elle est pleine d’enseignemens pour la France, et c’est à ce titre que le livre de M. Mauroy mérite notre attention. — On sait que, vers le Ve siècle avant Jésus-Christ, les Carthaginois entreprirent deux expéditions maritimes, dont l’une, commandée par Himilcon, qui se dirigea vers le nord de l’Europe en longeant le littoral de l’Espagne et de la Gaule, a été à peine mentionnée par les anciens. Quant à la seconde, son chef, Hannon, en écrivit une relation qu’il déposa à Carthage, dans le temple de Saturne, et qui plus tard, traduite du phénicien en grec, a été conservée jusqu’à nous. D’après ce document précieux, rédigé dans les termes d’un journal de bord, on voit que l’expédition, composée de soixante navires portant trente mille personnes, tant hommes que femmes, franchit les colonnes d’Hercule, fonda sur le littoral de l’Afrique un certain nombre de colonies, et, arrêtée par le manque de vivres, n’alla pas, suivant les uns, au-delà du cap Bojador, et poussa, suivant les autres, jusqu’à la Sénégambie. Cette dernière opinion a été adoptée par M. Mauroy, qui a fait ressortir la coïncidence de diverses parties du récit d’Hannon avec les descriptions des voyageurs modernes.

Quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins certain que Carthage, dont toute la politique, comme l’a si bien dit Heeren, consistait à rechercher et à cacher les pays fertiles en métaux, entretint de nombreuses relations avec les pays du centre de l’Afrique ; on a même à peu près retrouvé, au moyen d’Hérodote, la route suivie par les caravanes qui arrivaient dans cette ville du fond de l’Arabie. Lorsque la puissance carthaginoise eut été détruite, on peut affirmer, bien que l’on possède à cet égard fort peu de renseignemens, que le commerce de ces contrées ne perdit rien de son importance sous les Romains, qui pénétrèrent peut-être jusqu’aux frontières du Bournou. Quant aux Vandales, leurs successeurs, nous croyons, que M. Mauroy s’est trompé en les représentant comme des trafiquans actifs, « allant chercher l’ambre jusqu’aux limites de la Germanie. » Ces peuples, dont la domination subsista à peine un siècle, et que le pillage de Rome et des îles de la Méditerranée avait gorgés de richesses, ne songèrent guère à se livrer au commerce, pour lequel, comme tous les barbares qui envahirent l’empire, ils devaient avoir le plus profond mépris. Ajoutons que le passage de Procope auquel renvoie M. Mauroy ne renferme pas un mot qui justifie cette assertion.

Au VIIe siècle, les provinces de l’Afrique septentrionale, qui formèrent plus tard les régences de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc, furent conquises par les Arabes, et désignées par eux sous le nom de Maghreb ou Couchant. Les gouverneurs envoyés par les califes ne tardèrent pas à se déclarer indépendans, et leur révolte rendit, pendant plusieurs siècles, ce pays le théâtre de guerres longues et sanglantes. — Toutefois, lorsque la paix eut commencé à renaître, et que les villes du littoral qui, comme Bone, étaient tombées au pouvoir de Roger, roi de Sicile, eurent été reconquises, les princes du Maghreb cherchèrent à nouer des relations avec les peuples chrétiens et surtout avec l’Italie. Ce furent les Pisans qui obtinrent les premiers le droit de s’établir dans leurs états pour se livrer au commerce d’importation et d’expor-

  1. Comptoir des Imprimeurs-Unis, 1843, in-8o.