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prendre au sérieux ! Il y a plus : on sait aujourd’hui ce que coûtèrent ces faux témoignages : à un voleur de grand chemin on offrit cent cinquante roupies comptant et de belles espérances pour l’avenir, s’il voulait déposer contre son maître. À ce propos, M. George Thompson[1] s’écria en pleine assemblée, avec une véritable éloquence : « C’était proclamer dans le pays que quiconque voudrait causer la ruine de son roi n’avait qu’à paraître et à tendre la main ; il serait accueilli à bras ouverts par le résident, et recevrait une riche récompense pour sa trahison ! » Ce résident, c’était le lieutenant-colonel Ovans.

Le même agent politique intercepta toute la correspondance du raja ; aucune lettre ne parvint à celui-ci sans avoir été lue par le lieutenant-colonel Ovans. De cette lecture assidue des papiers les plus intimes de l’accusé est-il au moins résulté quelque preuve qui autorisât ces soupçons accueillis avec tant de facilité, qui corroborât ces témoignages préparés d’avance, mais peut-être vrais sur quelque point ? Rien sans doute, car avec ces lettres écrites de sa propre main on eût confondu le coupable, et au contraire on s’obstina à ne pas lui communiquer les pièces du procès.

Mais on ne devait pas s’en tenir là, on en vint jusqu’à acheter d’un chef de brigands de faux papiers et un sceau dont il se trouvait détenteur. Voici le fait. Pendant de longues années, le raja de Sattara avait, disait-on, entretenu, près du gouverneur de Goa, un agent qui allait, et venait assez régulièrement de la capitale du prince mahratte au chef-lieu des établissemens portugais, et transmettait à Pertaub-Sing des lettres de don Manoel. A son départ de l’Inde, don Manoel avait reçu, ajoutaient les dénonciateurs, une assez forte somme du raja sous forme de présent d’adieu, et, l’agent mystérieux étant mort quelque temps après, les papiers et le sceau de son maître (assez imprévoyant pour ne pas les retirer !) avaient passé entre les mains d’un certain Balboka-Kelkur[2]. Quel était cet homme devenu dépositaire des secrets du raja, ou au moins recéleur de la pièce la plus importante du procès ? Un chef de brigands qui rassemblait des gens de son espèce pour enlever à main armée des trésors déposés dans les forts de Vingorla, Malwan et Ranee. Cinq personnes, arrêtées pour cette affaire, déclarèrent que le prétendu agent du raja près du gouverneur portugais avait le premier préparé ce coup de main ; qu’à la mort de l’agent, Balboka s’était mis à la tête de la bande, et que, voyant ses complices arrêtés, il s’était caché dans les montagnes. Que fit-on alors ? On ne poursuivit pas Balboka, on ouvrit des négociations avec lui, on lui promit sa grace, s’il livrait les papiers et le sceau ; le marché fut conclu au prix d’une somme de 1,000 francs (400 roupies). Encore une fois, pourquoi le raja ne chercha-t-il point à rentrer en possession de

  1. Discours à l’East-India-House, octobre 1845.
  2. Official papers appertaining to the case of the detroned raja of Sattara, with a brief statement o f the case, pag. 2 et 3. — A Statement of the case of the deposed raja of Sattara, taken from the official papers printed by parliament and by the court of directors, etc., by W. Nicholson ; esq. N. A. ; London, 1845, pag. 81-82.