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qui l’accusaient, sans lui communiquer celles qui aggravèrent plus tard sa cause, déjà si compromise ?

Aujourd’hui ce ; n’est plus devant le gouvernement de l’Inde, c’est en pleine Europe que la cause est portée. Las d’implorer vainement la révision d’un jugement entaché d’illégalité, le raja en a appelé au parlement[1]. Depuis deux ans, il demande à plaider devant une cour moins prévenue, pour obtenir d’être jugé comme le dernier des sujets de sa majesté britannique ; là se bornent ses réclamations : est-ce trop exiger ? Un agent (wakeel) envoyé par lui, un fondé de pouvoir établi en Angleterre pour conduire ce procès, le Mahratte Rungo-Bapojee, présente au parlement, à la reine elle-même, les pétitions de son maître. Ce beau rôle d’ambassadeur d’un roi exilé, il le remplit avec zèle et courage. Une très petite partie de la presse anglaise a osé lui prêter son appui, car on assure que les journaux de Londres sont en général trop bien traités par la cour des directeurs pour ne pas se montrer reconnaissans.

Maintenant recherchons les causes qui ont pu déterminer la commission à agir avec tant de précipitation et, pour ainsi dire, de violence, et abordons l’affaire sous ses divers points de vue. Quiconque sait comment les choses se passent dans l’Inde aura été porté à croire, d’après un rapide examen des faits, que le raja a véritablement conspiré contre le gouvernement britannique, et qu’une politique prudente a pu tenir secrets les détails d’intrigues qu’il est toujours dangereux de divulguer. Il est si naturel que les souverains tenus en charte privée dans le palais de leurs ancêtres s’ennuient de la tutelle des dominateurs et prêtent l’oreille aux aventuriers qui leur parlent d’indépendance ! Tout en reprochant à la commission d’avoir brusqué la marche ordinaire des lois, on a dû admettre que la justice avait été sommairement rendue, et qu’à cela près des formes ouvertement violées, le jugement ne troublait guère la conscience de ceux qui l’ont porté. Cependant voilà que de toutes parts des documens arrivent ; de terribles accusations sont formulées contre ceux qui ont dirigé cette procédure étrange, et des voix généreuses s’élèvent, qui parlent hautement de témoins subornés, d’une correspondance supposée, d’un sceau contrefait ! Alors on s’explique cette obstination des juges à ne pas revenir sur ce honteux passé et cette persévérance de l’accusé à demander justice.

Jusqu’en 1837, nous l’avons vu, Pertaub-Sing, placé sur le trône par les autorités britanniques depuis dix-neuf ans, ne cessa de recevoir, de la part du gouverneur de Bombay d’abord, puis de la cour des directeurs, d’honorables témoignages de satisfaction et même d’estime. Cependant, en 1832, le raja avait réclamé à Bombay la possession de certaines parties de territoire

  1. Dans son ouvrage sur l’Inde, M. Fontanier avait dit quelques mots de cette affaire ; mais, ayant quitté Bombay en 1840, il n’a pu s’étendre sur les détails qu’une enquête postérieure a dévoilés.