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Saint-Remy[1], va rappeler l’attention sur les intérêts généraux et particuliers engagés dans cette île magnifique. Ce livre est écrit au point de vue des colons et tend à engager le gouvernement dans une solidarité que nous contestons en principe, mais il met sous les yeux du public une foule de documens peu connus, et il invite la France à se rattacher son ancienne colonie par une sorte de médiatisation commerciale au moyen d’un entrepôt français qui serait formé à Samana. Cette idée peut soulever beaucoup d’objections, mais il n’en faut pas moins savoir gré à M. Le Pelletier de Saint-Remy d’avoir remis à l’étude et presque à l’ordre du jour plusieurs questions qui ne touchent pas moins au développement commercial qu’à la grandeur maritime de la France.


De toutes les tragédies de M. Soumet, Jeanne d’Arc n’est pas la meilleure. Nous ne saurions discuter la valeur de cette œuvre non plus qu’examiner à quelle école elle appartient ; cela revient de droit à cette grande école qui ne périra pas, toujours jeune, toujours florissante, l’école de la médiocrité. Mme  de Staël regrettait que l’une des plus belles époques de notre histoire n’eût point encore été célébrée par un écrivain digne d’effacer le souvenir du poème de Voltaire, et qu’un étranger se fût chargé du soin de relever la gloire d’une héroïne française. Nous sommes bien obligé de reconnaître que la Jeanne d’Arc de M. Soumet n’aurait rien changé à l’expression de ces regrets. Quand on se représente cette poétique figure et cette merveilleuse épopée, où la légende chevauche à côté de l’histoire, quand on part à la suite de la jeune inspirée pour aller de Vaucouleurs à Rouen après Bourges, Orléans et Reims pour étapes, on ne peut se défendre d’un profond sentiment de tristesse en découvrant ce que tout cela est devenu entre les mains de M. Soumet, qui n’y a vu que les quatre murs d’un cachot et l’occasion de mettre un bûcher sur la scène. Il est triste, en effet, de voir la poésie au-dessous de la réalité et la muse coupant comme à plaisir les ailes de l’histoire ; c’est prendre la muse et la poésie à l’envers. Il y aurait donc tout lieu de s’étonner de la reprise de Jeanne d’Arc, si Mlle  Rachel n’en avait été le prétexte.

« Il faut se représenter, dit Mme  de Staël en parlant de la Jeanne d’Arc de Schiller, qui n’a rien de commun avec la Jeanne d’Arc du poète français, il faut se représenter une jeune fille de seize ans, d’une taille majestueuse, mais avec des traits encore enfantins, un extérieur délicat, et n’ayant d’autre force que celle qui lui vient d’en haut, inspirée par la religion, poète dans ses actions, poète aussi dans ses paroles, quand l’esprit divin l’anime ; montrant dans ses discours tantôt un génie admirable, tantôt l’ignorance absolue de tout ce que le ciel ne lui a pas révélé. » C’est ainsi que Schiller a conçu

  1. Étude et solution nouvelle de la question haïtienne. 2 vol. in-8o, chez Arthus Bertrand, rue Hautefeuille, 23.