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En Autriche, un pouvoir astucieux qui fomente les divisions sociales avec autant de soin qu’on en met ailleurs à les effacer, et s’efforce d’étouffer l’esprit politique sous le matérialisme des intérêts et des habitudes ; en Russie, un grand empire condamné à la tyrannie par la nécessité d’une œuvre impossible : voilà ce que les monarchies absolues opposent en ce moment aux passions révolutionnaires, voilà comment la vieille Europe entend se défendre contre l’esprit nouveau qui l’agite et la domine !

Dans les contrées méridionales, l’émotion n’est pas moins grande, et les difficultés ne sont pas moins sérieuses. Il n’est personne qui ne sache qu’un bataillon français franchissant les Alpes suffirait pour insurger l’Italie, il n’est pas un esprit sérieux qui ne tienne grand compte de ces émeutes passées en quelque sorte à l’état chronique et qui trahissent des souffrances véritables, lors même que les griefs légitimes sont exploités par de criminelles passions. L’état précaire et constamment menacé du gouvernement pontifical ne peut manquer d’appeler toute la sollicitude de l’Europe. Il y a là des intérêts de deux natures compromis par leur association même, et qui, pour leur propre avantage, tendent visiblement à se séparer. Si la puissance temporelle des papes était, au moyen-âge, la condition indispensable de leur indépendance spirituelle, dans l’état nouveau des sociétés européennes c’est évidemment en dehors de l’exercice du pouvoir politique que reposent les garanties de cette indépendance nécessaire, et quiconque voudrait, à cet égard, juger de l’avenir par le passé constaterait qu’il ne comprend pas les conditions d’une haute pensée destinée, dans son immutabilité même, à survivre aux transformations sociales.

Comment le gouvernement des états pontificaux répondrait-il aux besoins des générations nouvelles ? L’élection remise à un collége de vieillards porte toujours sur un vieillard que ses grands devoirs envers la chrétienté détournent et ne peuvent manquer de détourner presque toujours des soucis d’un gouvernement temporel ; le trône sur lequel il passe n’est que la première marche du somptueux mausolée qui l’attend. Demander à un octogénaire entouré de cardinaux dont la jeunesse s’est passée dans le silence des cloîtres ou dans les labeurs de la science ecclésiastique, demander à un souverain sans héritier, plus touché de sa mission spirituelle que de sa mission politique, de s’occuper d’administration et de réformes de nature à soulever contre lui des résistances incalculables, c’est le convier à une œuvre presque impossible. Dompter l’aristocratie famélique des monsignori romains, arracher à leur ignorante rapacité les belles provinces où ils paralysent tant d’élémens de vie et de progrès, cette tentative ne présupposerait guère moins d’audace et de génie que celle des plus hardis réformateurs, et, si le ciel a promis la perpétuité au sacerdoce catholique, il n’a pas promis de faire arriver des Pierre-le-Grand sur le trône pontifical,

Ainsi, au sud comme au nord de l’Europe, les questions se pressent, les problèmes abondent. Au travail des nationalités pour refaire la carte du