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aux petites chaînes de second ordre qui forment à l’ouest les vallées de la Silésie, de la Moravie, de la Bohême et de la Slovaquie, et à l’est les gorges terribles de la Transylvanie et de la Valachie. Voilà les différentes contrées qu’embrasse le foyer insurrectionnel, et qui toutes sont dominées par les montagnes des Gorals et des Hotsouls. Deux seuls chemins militaires traversent ces hauts plateaux, oubliés jusqu’à ce jour par l’Autriche. L’un coupe les Biechtchadi et le pays des Hotsouls, et va par Skolego de Gallicie en Hongrie. L’autre, venant de Iordanov, coupe les montagnes des Gorals et pénètre par Iablonka dans les comitats slovaques de Hongrie, pour se rendre à Trentchin et à Presbourg. Excepté ces deux routes, tous les autres passages ne sont que des sentiers impraticables pour la cavalerie, et plus encore pour l’artillerie. Les populations de ces hauts plateaux, habituées à ne rester dans leurs villages que durant le temps des neiges, errent les trois quarts de l’année dans les forêts et sur les monts avec leurs troupeaux. Elles n’ont encore aucune idée du luxe et des jouissances de la vie civilisée. Elles ne connaissent d’autre pain que le pain d’avoine ou les pommes de terre semées dans leurs forêts ; leur régal, c’est l’agneau rôti en plein vent sur les rochers ; leur plaisir est d’exécuter des danses nationales le sabre à la main. Voilà le vrai noyau de l’insurrection ; tant que ce noyau ne sera pas entamé, il n’y aura rien de fini. Les succès des puissances n’ont encore été obtenus que dans la plaine ; ce qu’on a enlevé aux insurgés, ce sont des postes d’avant-garde. Tant qu’ils resteront adossés aux positions qu’on vient de décrire, Polonais et Malo-Russes, en s’unissant, n’auront rien à craindre d’aucune des grandes puissances. Il est en effet remarquable que l’admirable position stratégique des contrées choisies par l’insurrection rend presque impossible l’action combinée des trois armées russe, autrichienne et prussienne. Les chaînes des Karpathes séparent précisément entre elles les trois puissances alliées, de sorte que, si le mouvement se consolide, l’une ne pourra arriver à l’autre qu’à travers les montagnes insurgées. Si, pour communiquer entre elles, ces armées s’enfoncent dans les étroits défilés, leur supériorité numérique leur sera d’un faible secours, et les insurgés, s’ils ont des chefs habiles, pourront toujours combattre leurs adversaires à peu près à nombre égal. Il y a donc plus à craindre qu’à désirer de grandes batailles, et la nouvelle de l’évacuation de Cracovie n’a rien qui doive alarmer. La vraie capitale des insurgés n’est pas là, mais plus loin à l’orient, sur les verts sommets des Biechtchadi.